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samedi 30 janvier 2010

« Why Haiti matters » : Tous les nègres ne sont pas noirs, et tous les blancs ne sont pas blancs.

Peu de pays, peu de cultures, peu de langues peuvent se dégager de représentations issues de cinq cents ans de domination du monde par le monde « blanc », longtemps synonyme chez les « blancs » de civilisation. Et il est difficile encore aujourd’hui de ne pas se représenter notre monde en dehors du point de vue élaboré et transmis par les européens.

Prenez la « découverte » de l’Amérique. Sans rentrer dans le débat de savoir qui de Christophe Colomb ou des vikings ont atteint en premier les côtes américaines, comment ne pas « visionner » cette « découverte » sans adopter le « regard » européen ? Comme le résume Jean-Claude Bajeux, ancien ministre de la culture d’Haïti, « quand vous pensez aux caravelles qui s’approchent des rivages de cette île des Bahamas atteinte par Colomb en 1492, où vous trouvez-vous ? Avec les marins sur les caravelles, vous criez « Terre », et vous voyez sur la plage des « indiens » qui vous regardent approcher ? Ou bien sur l’île, sur la plage et vous voyez approcher ces pirogues, bizarres et ventrues, sur lesquelles s’agitent des êtres blancs et poilus ? ». Tout est question de point de vue.

C’est comme le climat. Les européens ont décrété que la norme, le climat « tempéré », était le climat de Londres ou Paris, c’est-à-dire franchement un climat pluvieux et morose… Le reste est soit climat « froid » soit climat chaud. Alors que lorsque Colomb est arrivé aux Antilles, sa première réaction a été de trouver que climat était paradisiaque « aussi doux qu’un printemps en Andalousie ». Tout est question de point de vue.

C’est comme la « couleur ». 400 ans d’esclavage nous ont tous conditionnés à considérer que tout ce qui n’était pas blanc-blanc était noir. Ainsi un métis blanc + noir est noir, « afro-américain » dirait-on au pays d’Obama. Et l’on sait que même 70 ans après la « négritude » d’Aimé Césaire, et de tous ces mouvements visant à remettre le « nègre debout », de Cuba au Brésil en passant par la Martinique ou la Guadeloupe, on considère encore un peu, trop ! qu’un enfant métis sorti clair est « bien sorti », et que s’il n’a pas des cheveux crépus, il a « de beaux cheveux »…

Un seul pays a inscrit dans sa culture traditionnelle, dans sa langue un autre « point de vue » : Haïti.

Après la Révolution haïtienne et la proclamation de l’indépendance de la première République noire, il n’y a plus de blancs en Haïti. C’est un pays de noirs, en créole « nèg ». Tout ce qui entoure Haïti, ce sont des pays « blancs », en tout cas dominés par les « blancs ». En créole haïtien « blan » est donc synonyme d’étranger. « Nan peyi blan » veut dire « A l’étranger ».

Cependant, dans ce pays « noir », quelques « blancs » ont été « intégrés ». Ainsi, des « blancs » ont été aux côtés des « noirs » pour défendre la liberté puis l’indépendance. Comme, par exemple, et cela appartient à la conscience historique de tous les haïtiens, les polonais faisant partie des 30 000 soldats envoyés par Napoléon pour reconquérir Haïti. Ils ont rapidement déserté et rejoint les haïtiens. Après l’indépendance, ils se sont implantés dans le sud du pays, près d'Aquin et de Saint-Louis du Sud. Et aujourd’hui encore, quand on voit une personne au teint et aux yeux clairs, on pense souvent qu’elle est originaire de cette région. Il y eu aussi d’autres métissages, notamment avec des familles de commerçants venus de « l’étranger », obligés de se mélanger car pendant longtemps, les « blancs » n’avaient pas le droit de posséder un bien, une terre en Haïti. Ce qui a donné des « mulâtres » qui ont par la suite développé des monopoles dans le commerce avec l’étranger.

Malgré tout, le point de vue de départ est resté, que l’on retrouve dans la langue créole : Un blanc c’est un « nèg rouj », littéralement « homme rouge ». Et un noir américain peut être traité de « blan », c’est-à-dire d’étranger…

Bien sûr, les « valeurs » du vaste monde qui entoure Haïti, les « valeurs » du reste de la Caraïbe, ou des Etats-Unis, partout marquée par une hiérarchisation de la société héritée de l’esclavage, ces valeurs ont pénétré la société haïtienne qui perd petit à petit son « point de vue « original.

Mais l’exemple d’Haïti et de sa langue montre qu’il y a une autre voie que de partir d’une vision « blanche » , « européenne », « occidentale » du monde. C’est une nouvelle fois une démonstration de l’importance de la Révolution haïtienne de 1804 pour la lutte pour la Liberté, l’Egalité, la Fraternité de tous les hommes dans le monde. C’est cette Révolution haïtienne qui donne aux valeurs défendues par la Révolution française leur aspect universel. « Liberté, égalité, fraternité « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » ne sont pas uniquement des valeurs réservées aux seuls blancs, aux seuls européens, aux seuls « pays développés », au seul "Occident chrétien". Mais pour tous, y compris les nègres, « nèg », c’est à dire « homme » en créole…

Pour cette seule raison, déjà, oui, comme l’a écrit le Président Obama. « Haïti matters », c’est-à-dire qu’Haïti est importante pour nous tous, pour le monde entier,

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