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lundi 28 septembre 2015

#Catalogne indépendante: Le pire n’est jamais certain

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Isabelle de Castille épouse Ferdinand, roi d'Aragon, comte de Barcelone

C’était fin 1992, à Bratislava.
Vaclav Havel, le Président de ce qui était encore la Tchéco-slovaquie effectuait sa dernière et ultime visite pour tenter d’empêcher la scission du pays.
Fin 1989, la « Révolution de velours »avait mis fin à 40 ans de dictature communiste, et l’avenir semblait radieux pour le pays qui se transforma en « République fédérale tchèque et slovaque ».
Mais, deux ans plus tard, le parti d’un ancien responsable communiste Vladimir Meciar arrive en tête des élections régionales. Certes il n’a pas la majorité des voix,  mais avec 35 % des suffrages, il peut gouverner. Il décide de demander et de proclamer l’indépendance. Sans référendum, qu’il aurait sans doute perdu.
De la part de Meciar, il y a sans doute plus de calculs politiques personnels qu’une vraie revendication nationaliste: Il n’apprécie guère le changement venu de Prague, et puis ne vaut-il pas mieux être le premier à Bratislava que le second à Prague. On sait cela depuis les romains !
Vaclav Havel eut beau rappeler que ce qui séparait slovaques et tchèques était moins important que ce qui les rapprochait. Au conseil des ministres du gouvernement fédéral  à Prague, chacun parlait sa langue et tout le monde se comprenait. Et il ne servit à rien de rappeler que le général Stefanik, co-fondateur de la Tchécoslovaquie était slovaque. Comme Dubcek, le héros du bref Printemps de Prague, en 1968.
Vladimir Meciar joua la carte de la dignité nationale slovaque outragée, de l’insupportable tutelle tchèque et de l’arrogance de Prague.
Ce soir-là, dans sa voiture qui le ramenait au château qui était encore la résidence officielle du Président fédéral à Bratislava, Vaclav Havel était fatigué. Son cortège venait une nouvelle fois d’être arrêté par des manifestants agressifs et violents, il avait une nouvelle fois tenté de discuter, de dialoguer, mais en vain. Remontant dans sa voiture, alors que le soir tombait, il nous dit d’une voix lasse ; « Voilà, nous allons nous séparer. C’est idiot, nous avons tellement de choses en commun. Mais que faire ? Nous n’allons pas nous battre. Le divorce se fera à l’amiable mais avec tristesse. Vous feriez mieux de vous inquiéter de ce qui va se passer en Yougoslavie. Là l’explosion risque d’être violente »
Quelques mois plus tard, le 1er janvier 1993, la Slovaquie devenait indépendante. Et pour la Yougoslavie, on sait à quel point Vaclav Havel avait vu juste.
Et aujourd’hui ? Eh ! bien contre toute prévision, la petite Slovaquie, moins riche, moins « attractive » a priori que la riche « Tchéquie » et sa belle capitale, Prague, est un modèle de réussite avec une économie florissante. A  l’opposé, la Tchéquie semble stagner.
Finalement le pire ne s’est pas produit pour la Slovaquie.
Il y a beaucoup de similitudes, même si comparaison n’est pas raison, avec la situation actuelle en Catalogne. Avec notamment un courant indépendantiste qui mélange de réelles revendications culturelles avec beaucoup d’opportunisme et de calculs politiques, ainsi qu’une dose de populisme et d’égoïsme, voire même de xénophobie.
La Catalogne a déjà obtenu une très large autonomie. Depuis 30 ans pour donner une majorité aux Cortes de Madrid, il faut souvent l’appui des députés de la Catalogne et/ou du Pays Basque, qui donc à chaque fois, ont monnayé leur appui contre plus de pouvoirs autonomes.
Sur le plan linguistique par exemple, le gouvernement catalan mène ce qu’il appelle la politique « d’immersion linguistique » qui impose le catalan comme seule langue d’enseignement, cela même si vos parents ne sont pas catalans, ce qui est le cas d’un quart des habitants de Catalogne. Pour les nationalistes, il s’agit de « corriger positivement une situation historique d’inégalité face au castillan ». Un résultat qui conduit à des situations parfois absurdes où des enfants de familles originaires du reste de l’Espagne n’ont pas le droit à des cours de remise à niveau en « Castillan », ce que nous appelons nous, « l’espagnol ».
En fait se manifeste aussi parmi ces votes indépendantistes catalans ce même égoïsme que l’on retrouve  chez certains italiens du nord, ou certains flamands : « Nous sommes la province la plus riche, nous ne voulons pas payer pour les autres ».
En oubliant un peu vite , que les industriels catalans, ceux qui ont leur loges de « socios » au Barça, et qui vont fumer le cigare dans des clubs aussi sélects qu’à Londres, ont été bien contents pendant des décennies d’exploiter une main d’œuvre bon marché venue d’Andalousie ou d’Estrémadure. Comment calculer ce que la richesse de la Catalogne doit au reste des espagnols ?
Et puis comment démêler la Catalogne du reste de l’Espagne, alors que l’Espagne moderne est justement née d’une reconquête venue des provinces du nord, Pays Basque, Asturies, Navarre, Aragon, et Catalogne. Ce sont les comtes de Barcelone qui sont devenus Rois d’Aragon, il y a près de 1000 ans. Et c’est bien l’alliance entre ce Royaume d’Aragon, comprenant le comté de Barcelone, avec le royaume de Castille qui a fondé l’Espagne moderne il y a 500 ans. Le symbole de cette Espagne moderne en étant ces fameux « Rois catholiques »: Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
Comment démêler les fils d’une culture catalane qui s’exprime aussi en castillan ? Jeter aux orties ce bilinguisme de fait, avec ces journaux comme la Vanguardia, le grand quotidien  de Barcelone ? Avec ces intellectuels, ces écrivains.
Faudra-t-il que Manuel Vazquez Montalban réécrive ses romans  en catalan pour donner plus de catalanité à son héros Pepe Carvalho * ? Ils sont encore nombreux, même s’ils ne sont pas les plus bruyants, à apprécier leur double culture, à apprécier le fait de partager une langue mondiale, le castillan – espagnol, et d’exprimer la crainte qu’à l’avenir la Catalogne ne s’enferme dans une« cultureta », une petite culture refermée sur elle-même.
Mais comme en Slovaquie, peut-être que le divorce catalan ne se fera pas, ou s’il se fait, qu’il ne sera pas une catastrophe. Mais ce sera quand même triste pour tous ceux qui aiment l’Espagne, avec ses  diversités, ses variantes, ses contradictions.
Et ce n’est certainement pas un bon signal pour l’Europe, dont l’un des principes avaient été justement de surmonter les petits égoïsmes nationaux pour le bien commun. La solidarité, n’est-ce pas cela qui cimente notre « vivre ensemble « ?
Nous vivons une e-poque formidable.

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*Pepe Carvalho est un personnage de fiction créé par l'écrivain Manuel Vázquez Montalbán. Ancien policier, après une vie politique assez tourmentée, il devient détective privé à Barcelone. Et ses enquêtes sont ponctuées par des pauses gastronomiques, où il se mijote des recettes catalanes avec ses copains des quartiers populaires de Barcelone. Plus catalan que lui, tu meurs, et pourtant, c’est écrit et décrit en langue castillane.

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