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dimanche 26 avril 2009

L'Académie française doit accueillir Aimé Césaire !

Article paru dans l'édition du 25.10.06 du journal Le Monde
Le moment est venu pour cet écrivain et poète de rejoindre les Immortels
Elles et ils iront tous le voir : Aimé Césaire. Le pèlerinage (avec photo) à Fort-de-France en Martinique auprès du « vieux sage », du « grand poète martiniquais » est en effet la consécration de toute pêche aux voix auprès de nos « compatriotes de l'outre-mer ». Ces visites ont la sincérité des opportunismes électoraux et sont très en dessous de ce qu'est Aimé Césaire.
C'est un esprit brillantissime : en 1931, boursier venu de la Martinique, il étudie au lycée Louis-le-Grand, puis est reçu à l'Ecole normale supérieure. C'est un homme politique engagé dans sa société. En 1946, député communiste, il présente devant l'Assemblée nationale la loi créant pour les « quatre vieilles colonies » les départements d'outre-mer. « Entre désintégration et intégration, il y a de la place pour l'invention. Nous sommes condamnés à inventer ensemble ou à sombrer, et pas forcément pavillon haut ! » C'est un homme de principes : en 1956, il est un des rares intellectuels à dénoncer l'invasion de Budapest par les chars soviétiques et à rompre avec le Parti communiste français. Enfin et surtout, Aimé Césaire est un des plus grands poètes vivants, un amoureux de notre langue pour la beauté de laquelle il a tant fait.
Et pourtant Aimé Césaire n'est pas à l'Académie française. Oh ! bien sûr, l'auteur de Cahier d'un retour au pays natal, des Armes miraculeuses, ou de la Tragédie du roi Christophe, inscrite au répertoire de la Comédie-Française, est déjà immortel par sa seule oeuvre. Il n'est pas non plus, au soir de sa vie, comme d'ailleurs pendant toute son existence, demandeur d'hommages officiels. Mais pas plus que ne l'était Marguerite Yourcenar. Or, en 1980, il s'était bien trouvé un Jean d'Ormesson pour remuer les académiciens, pour se rendre dans la retraite de l'écrivain exilée volontaire en Amérique du Nord et la convaincre d'être la première femme à entrer à l'Académie française. Comme pour Marguerite Yourcenar, ce n'est pas Aimé Césaire qui serait honoré par une telle élection, ce seraient l'Académie, la langue française, la France !
Au moment où l'on cherche à mettre en exergue des modèles de réussite issus des « minorités visibles », cela montrerait que des Noirs peuvent non seulement être de bons footballeurs ou de bons sprinteurs, mais également des esprits brillants. Des efforts sont pourtant faits et au plus haut sommet de l'Etat. Il y a quatre ans, par exemple, la « patrie reconnaissante » accueillait au Panthéon un de ses « grands hommes » : Alexandre Dumas.
Nous reconnaissions ainsi non seulement un grand écrivain populaire, l'auteur français le plus lu dans le monde, mais également un « sang-mêlé », le fils du général Dumas, radié de l'armée française par Napoléon en 1802 en raison de sa couleur de peau, le petit-fils d'une esclave des Antilles. C'est ce qu'avait expliqué le président de la République, Jacques Chirac, dans son discours devant le Panthéon : « La République aujourd'hui ne se contente pas de rendre les honneurs au génie d'Alexandre Dumas. Elle répare une injustice. Cette injustice qui a marqué Dumas dès l'enfance, comme elle marquait déjà au fer la peau de ses ancêtres esclaves ».
Même si le racisme est évidemment présent dans notre société, la France a peut-être cela de particulier par rapport à d'autres pays européens, d'avoir accueilli dans sa culture et dans sa société des enfants venus de toutes les cultures. Même s'ils sont encore sous-représentés dans les médias, la haute administration, les directions d'entreprise, la République leur a permis dans le passé un certain nombre de parcours remarquables !
Au Panthéon, Alexandre Dumas a ainsi rejoint un autre descendant d'esclaves africains, Félix Eboué. Qui se souvient d'ailleurs de ce Guyanais, noir, devenu gouverneur de l'Afrique-Equatoriale française, et qui fut le premier à rejoindre le général de Gaulle en 1940, permettant ainsi à la plus grande partie de notre ancien empire colonial de basculer dans le camp de la France libre ?
Mais revenons à la littérature. Parmi les injustices faites à Alexandre Dumas et en partie réparées par l'entrée au Panthéon, il y a le fait qu'il ne fut jamais reçu à l'Académie française. Les immortels d'aujourd'hui vont-ils encore longtemps s'obstiner dans une injustice comparable à l'égard d'Aimé Césaire ? Car honorer les morts, c'est bien. Mais reconnaître le mérite des vivants serait encore mieux !
Bien sûr, en 1983, en élisant Léopold Sédar Senghor, l'Académie avait déjà voulu honorer l'oeuvre d'un grand poète mais aussi faire accéder pour la première fois un Noir à l'immortalité. Or, avec l'ancien président sénégalais et avec le poète guyanais Léon-Gontran Damas, lui aussi scandaleusement oublié, Aimé Césaire a été le père d'un mouvement non seulement politique mais surtout poétique de première importance : la négritude.
Remettre le nègre « debout », plonger dans ses racines pour atteindre l'universalité, tout cela en utilisant l'arme de la langue française ! Apportant l'Afrique au surréalisme, Aimé Césaire est sans nul doute un des grands artisans de notre langue : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. » C'est avec des Césaire que notre langue peut prétendre être un peu plus que la langue de l'Hexagone et que notre culture peut continuer à s'affirmer comme universelle.
Proposer à Aimé Césaire d'entrer à l'Académie française, ce serait montrer que notre République n'attend pas leur mort pour reconnaître les mérites de tous ses enfants, sans distinction de sexe, de couleur ou d'origine ! Alors immortelles et immortels, vite !
Pierre Thivolet
Le Monde du 25 Octobre 2006

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