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mardi 19 mai 2009

MEMOIRES SELECTIVES:

MEMOIRES SELECTIVES:
Au moment où la République se cherche désespérément des exemples de personnalités positives « issues des minorités visibles », pourquoi avons-nous oublié des personnalités exceptionnelles ? Faîtes donc un test : Qui est sur cette photo ?
La plupart du temps, les réponses tournent autour de : « C’est qui ce dictateur africain ? ».

Lui, c’est Félix Eboué, dont on vient de commémorer dans la plus grande indifférence le 65 ème anniversaire de la mort, le 17 mai 1944 au Caire alors qu’il rejoignait la France et le Général de Gaulle.
En dehors des habitants de la Guyane ou de la Guadeloupe, des gardiens du Panthéon et des Compagnons de l’ordre de la Libération, plus personne ou presque ne sait qui est Félix Eboué. Et c’est lamentable.
Car il est l’exemple de ce que l’ascenseur social républicain , le système d’instruction publique et de bourses, la formation d’élites ouverte à tous, quelque soit son origine, peut produire ou plutôt pouvait produire.
Félix Eboué est tout simplement l’un des plus grands hommes d’Etat de la France du XX° siècle, son parcours, sa vie sont incroyables. Il faudrait en écrire le roman !
Il est né en 1884 dans ce pays, la Guyane française qui n’était quoi ? Qu’un bout de forêt amazonienne, peuplée de 15 000 habitants, isolée de tout, à un mois et demi de bateau de la métropole …. Et voici que le jeune Eboué est repéré par son enseignant. On lui accorde une bourse et à 14 ans il part terminer ses études à Bordeaux.
Se rend-on compte de ce que cela signifiait. Il n’y avait pas de Cayenne-Paris en 8 heures, pas de téléphone, ni de skype. On partait pour sept à neuf ans. Pouvez-vous imaginer son premier hiver à Bordeaux ? Et le racisme ? Vers 1900 en France ? Lui, le gros noir de Cayenne ? Et pourtant, il a réussi, le bac, ses études de droit, l’école d’administration coloniale… à une époque où aux Etats-Unis les noirs ne pouvaient, même pas en rêve, imaginer étudier avec des blancs…
Et ensuite: Fut-il un nègre à blanc, un suppôt du colonialisme ? Pas du tout : C’est un intellectuel, il fréquente les cercles des étudiants noirs et africains, il est ami avec René Maran. Tiens, connaissez-vous René Maran ? Un autre guyanais, premier noir à obtenir le Prix Goncourt en … 1921, un an après Marcel Proust pour « Batouala, roman nègre ». Là aussi qui s’en souvient ?
Qui se souvient que des Aimé Césaire ont pu réussir à la fin des années 20 et étudier à Normale Supérieure; que le premier noir à être admis à Polytechnique le fut un siècle avant la première femme, et c’était Camille Mortenol en 1880, fils d’esclaves guadeloupéens ? Quant à Gaston Monnerville, bien sûr, encore un guyanais, décidément, avocat, Président du Sénat…
Que l’on ne se souvienne plus de ces parcours exceptionnels mais à l’image de ce qu’a pu produire notre société, en dit long, justement, sur l’état actuel de notre société. Le racisme et les préjugés ont peut-être régressé, mais les blocages, eux, ont incontestablement augmenté.
Pour revenir à Félix Eboué, qui fût le premier gouverneur noir en Martinique, en Guadeloupe puis en Afrique Equatoriale, qui fit libérer les chefs et les syndicalistes « indigènes », supprimer le travail forcé, qui fit étudier et transcrire les langues de l’Oubangui Chari, du Congo, qui fût un des artisans de la Ligue des droits de l’Homme, il fût également le premier à répondre à l’appel du 18 Juin parce que contrairement à beaucoup d’autres il avait une certaine idée de la France, et même une idée certaine des valeurs de la France !
De Gaulle en fît le premier compagnon de l’ordre de la Libération. Parce que c’est lui qui en faisant basculer l’Empire français d’Afrique du côté de la France Libre, donna au Général De Gaulle une vraie crédibilité face aux américains et aux anglais. C’est lui qui a recruté, armé, 50 à 60 000 soldats au Congo, au Tchad embryon de ce qui allait constituer les Forces Françaises Libres. C’est lui qui a organisé la Conférence de Brazzaville en janvier 1944, conférence à laquelle participe le général de Gaulle et tous les cadres de l’Empire français et qui jette les bases de la décolonisation. Sacré bonhomme ! Sacré grand homme ! Il est le premier et le seul noir dont les cendres ont été transférées au Panthéon en 1949, en même temps que celles de Victor Schoelcher. A l’époque Martin Luther King n’aurait même pas osé monter dans un bus avec des blancs.
Alors il faut nous seulement se demander qu’est-ce qui ne fonctionne plus dans notre société pour qu’aujourd’hui Eboué et tous les autres soient à ce point oubliés au lieu d’être devenus des héros de feuilletons télévisés.
Et d’urgence relire ses discours, car en ce temps-là les hommes politiques savaient manier le verbe, comme ce discours à la jeunesse en juillet 1937 au lycée Carnot de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, un discours sur le sens de l’Etat et les valeurs de la République :

Jouer le jeu, c'est être désintéressé
Jouer le jeu, c'est piétiner les préjugés, tous les préjugés et apprendre à baser l'échelle des valeurs sur les critères de l'esprit.
Jouer le jeu, c'est mépriser les intrigues et les cabales, ne jamais abdiquer, malgré les clameurs ou menaces, c'est poursuivre la route droite qu'on s'est tracée.
Jouer le jeu, c'est savoir tirer son chapeau devant les authentiques valeurs qui s'imposent et faire un pied-de-nez aux pédants et aux attardés.
Jouer le jeu, c'est aimer les hommes, tous les hommes et se dire qu'ils sont tous bâtis sur une commune mesure humaine qui est faite de qualités et de défauts...


Ou encore relire ce poème de Léopold Sedar Senghor, un hommage à Félix Eboué dans le recueil « Hosties Noires » :

L'aigle blanc a glapi sur la mer, sur les îles, comme le cri blanc du
soleil avant midi.
Le lion a répondu, le prince de la brousse qui soulève la torpeur
lâche de midi.
Ebou-é ! Et tu es la pierre sur quoi se bâtit le temple et l'espoir,
Et ton nom signifie "la pierre ", et tu n'es plus Félix ; je dis
Pierre Eboué

Les jeunes dieux de proie se sont dressés, ils lancent leurs yeux
sillonnés d'éclairs,
Ils ont lancé devant eux l'ouragan et les faucons planant sur
les hordes de fer,
Et toute la terre trembla au loin sous la charge massive de l'orgueil.
Ebou-é ! Tu es le lion au cri bref, le lion qui est debout et qui dit non !

Au lieu de piocher dans l’imaginaire collectif nord-américain, dans la vie merveilleuse de Martin Luther King, de Malcom X ou de Barack Obama, au lieu de faire la moue devant Félix Eboué, « serviteur zélé de l’empire colonial » , le « nègre de la République », comme certains le disent aujourd’hui , parce que c’est gênant ce fils d’esclaves, et fier de l’être, qui croit dans les valeurs de la République française, ça bouleverse nos « prêts à penser » !, allons au Panthéon, passons l’inscription « Aux grands hommes la Patrie reconnaissante » et descendons dans la crypte méditer devant la stèle de Félix Eboué : A coup sûr, cela nous inspirera comme cela inspira il y a soixante ans André Malraux :
« Passant, va dire aux Enfants de notre Pays :
De ce qui fut le visage désespéré de la France,
les yeux de l'homme qui repose ici,
n'ont jamais reflété que les traits du courage et de la liberté
».
Le courage et la liberté : Voilà ce que disent les yeux de ce gros noir sur la photo !!!

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