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lundi 27 avril 2009

Tout changer pour que rien ne change ?

La nécessaire plus grande « visibilité » des minorités est-elle un moyen de promotion suffisant ?


Il y a presque trois ans, le microcosme s’agitait autour de l'arrivée d'Harry Roselmack, journaliste de qualité par ailleurs, pour présenter le premier journal télévisé de France, pendant les vacances du titulaire de l'époque, Patrick Poivre d’Arvor.
Pour les uns, cette nomination allait servir la promotion des minorités « visibles ». D’autres n’hésitaient pas à y voir une brèche d’un « jeune » dans la « surreprésentation des quinquas, sexas, voire septuagénaires» (**) ; Les prémisses d’une révolution en quelque sorte !
« On ne change pas une société par décret » remarquait déjà le sociologue Michel Crozier. Le peut-on par la seule « visibilité » ? On peut même craindre que dans cette sorte de théâtre que sont les médias, le changement de « marionnettes » n’entraîne pas le renouvellement de ceux qui tirent les ficelles.
En 1998, Rachid Ahrab accédait à la présentation du 13 heures de France2. Cet « évènement » a-t-il fait progresser la promotion des français d’origine maghrébine, victimes dans notre société, de préjugés encore plus violents que ceux à l’égard des français « de couleur » ?
L’exemple des femmes a également de quoi rendre prudent. Non pas une minorité, mais une majorité, et pour lesquelles ont été votées des lois sur l’égalité des chances, avec les résultats encore limités que l’on sait en politique. Si les femmes sont incontestablement plus nombreuses aujourd’hui dans les médias, combien ont accédé aux vrais postes de pouvoir, plus de 25 ans après que Christine Ockrent ne devienne la première femme à présenter un journal télévisé, le 20 heures d’Antenne2 ? Les Christine Ockrent (France24) ou Arlette Chabot (France 2) ne sont pas plus nombreuses qu’autrefois, dans des années considérées à juste titre comme machistes, mais où dirigeaient des Françoise Giroud ou Jacqueline Baudrier. Et les médias sont à l’image du reste de notre société, dans les conseils d’administration des entreprises, dans la très haute fonction publique, dans les postes de direction de l’enseignement. En médecine par exemple où dans certaines disciplines les femmes représentent la majorité des effectifs, elles restent pratiquement exclues des postes de chefs de service ou de directeurs de recherche.
Les « jeunes » bloqués par les « seniors »?
Certes, nous sommes un des pays d’Europe où le chômage des jeunes est le plus élevé. Mais s’agit-il d’un simple jeu de chaises musicales où les places ne seraient pas libérées par les « quinquas, sexas, septuagénaires »? Car notre pays est aussi le pays d’Europe où le chômage des plus de 50 ans est le plus élevé, et alors, combien de compétences, d’expériences non transmises !
La télévision n’a-t-elle pas perdu beaucoup en mettant à la retraite d’Antenne2 en 1984, avec une loi de circonstance, Pierre Desgraupes âgé alors de 65 ans ? Et qu’ont gagné l’Institut Pasteur et la recherche française en remerciant Luc Montagnier, le «co-découvreur »du virus du SIDA, qui fût « récupéré », quel symbole, par les centres de recherche américains?
Dans le domaine des médias, nous citons souvent les pays anglo-saxons en exemple. Il y serait accordé une place plus importante que chez nous aux minorités « visibles ». Qu’en est-il alors du rapport jeunes/ seniors ?
Aux Etats-Unis, ou en Grande-Bretagne, la quasi-totalité des présentateurs de télévision sont quinquas, sexas, voire plus.
L’antillais Trevor Mc Donald, sur ITN : 66 ans. Larry King sur CNN : 72 ans. Rien d’étonnant : Tous, avant de devenir « présentateurs », avaient travaillé comme reporters de terrain pendant des dizaines d’années. La présentation d’un journal télévisé s’appuie non seulement sur une présence physique mais aussi sur une connaissance du métier que seul les années peuvent donner.
L’effet « StarAcadémie » voudrait nous faire croire que nous avons tous, quelque soient nos origines, notre chance, et que les « djeunes » sont tous des Mozart qu’on assassine. Le « jeunisme » promu justement par des dirigeants de médias qui ont largement dépassé l’âge de la retraite veut nous faire oublier ce qu’apportent dans toutes les activités, y compris le journalisme, le travail et l’expérience. Pour nous faire recoudre une main ou un visage arrachés, préfèrerions-nous un chirurgien talentueux mais débutant à celui ayant pratiqué des centaines d’interventions ?
La question n’est donc peut-être pas seulement « Faut-il rendre plus visibles les jeunes, les noirs, les arabes, les femmes », mais peut-être plus, comme le remarquait Rama Yade, quelques jours avant d’être elle-même nommée secrétaire d’Etat, « Pourquoi notre pays ne permet plus aujourd’hui l’ascension des meilleurs de ses enfants quelques soient leur origine, leur couleur, leur religion? »
Il y a 120 ans,déjà, alors que l’esclavage était toujours en vigueur au Brésil ou à Cuba, un noir de Guadeloupe, Camille Mortenol, était reçu à l’Ecole Polytechnique, bien avant d’ailleurs que les femmes n’y soient admises (1972). Il y a plus de 50 ans, alors qu’aux Etats-Unis sévissait encore la ségrégation dans les universités ou les transports en commun, un « homme de couleur », originaire de Guyane, Gaston Monnerville était élu sénateur d’une circonscription de la « France profonde », le Lot, et accédait à la Présidence du Sénat qu’il conserva pendant vingt ans,. Sans oublier les Aimé Césaire, normalien, Blaise Diagne, ministre, Félix Eboué, gouverneur général, premier noir à être inhumé au Panthéon en 1950.
De multiples exemples d’un système de parcours au mérite qui faisait la fierté de la III° République: L’instituteur du village repérait l’élève doué, les bourses et les concours permettaient y compris aux plus modestes d’accéder à l’excellence, ce qui, même s’ils restaient des cas exceptionnels, marquait les esprits, servait de modèle aux familles jusqu’aux fins fonds des campagnes.
Ce système adapté à une France rurale et beaucoup moins parisienne qu’aujourd’hui, a disparu. L’éventail des voies d’accès au pouvoir, au vrai pouvoir s’est considérablement refermé pour se résumer à cette caricature : Un grand lycée, si possible parisien, puis Science-Po, suivi en touche finale par l’ENA.
En focalisant le débat autour de la seule représentation des « minorités » visibles ou des jeunes, la télévision occulte les vraies questions: L’ascenseur social en panne, notamment dans notre système d’éducation, la formation « endogamique » de nos élites, l’accès, bloqué, au pouvoir, aux pouvoirs.
Au lieu d’opposer les noirs aux blonds, les jeunes aux seniors, les femmes aux hommes, c’est bien la combinaison de l’ensemble des talents de notre société qui nous permettra d’avancer, et non pas un système qui accumule les exclus, au profit d’un tout petit, tout petit cercle qui comme le héros du roman sicilien« Le Guépard » pense : « Tout changer pour que rien ne change » !

Pierre Thivolet

** « Harry Roselmack n’est pas noir, il est jeune » de Hakim El-Karoui et Jean-Pascal Picy, maîtres de conférence à Sciences-Po, Le Figaro du 24 juillet 2006

1 commentaire:

S. Sibeud a dit…

Très intéressant, mais vous parlez surtout des français d'origine antillaise.La discrimination à l'égard des français d'origine maghrébine n'est-elle pas aujourd'hui plus forte ?

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