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vendredi 5 juin 2009

Barack Obama dans l’Allemagne du bien et du mal …

Weimar et Dresde que visite aujourd’hui Barack Obama sont au cœur de ce que l’Allemagne a de plus beau, sont le cœur de ce que l’Allemagne a de meilleur. Et de pire…
Weimar… Comment décrire à ceux qui connaissent pas … A Weimar, la raison laisse la place aux sensations et aux émotions… Une belle matinée de Juin sur la place du marché, les maisons baroques aux façades pastels, rose, ocre, pistache, l’entrelac des ruelles où l’on met ses pas dans ceux de Cranach, Bach, Goethe, Schiller, Nietzsche, Franz Liszt, l’école d’architecture du « Bauhaus » qui inspira toute l’architecture moderne, l’hôtel « Elephant », le vieux château ducal, le rire des étudiants un soir d’été dans les jardins et le vallon qui abritent la maison de Goethe, tout est là, l’Allemagne classique, l’Allemagne romantique, l’Allemagne sensible, l’Allemagne peintre, poète, musicienne, mais aussi révolutionnaire, philosophe, inventive. Tant de beautés et de forces créatrices concentrées au cœur de la Thuringe, de l’Allemagne, de l’Europe, le cœur de ce que la civilisation européenne a produit de mieux, jusqu’aux colonnades néo classiques du Théâtre national où se réunit en 1919 l’Assemblée constituante de la Première République allemande, baptisée « République de Weimar » celle qui permit toutes les libertés, toutes y compris celles de se faire hara-kiri en permettant à un peintre raté à l’accent grotesque de devenir chancelier, un certain Hitler, Adolf…
Et Dresde… Il faut se mettre face à la ville, sur les bords de l’Elbe et regarder…, aujourd’hui on dirait le « skyline », de droite à gauche : L’Opéra Semper, le palais d’été du Zwinger, conçu pour servir d’écrin aux carrosses et aux parades équestres, le Palais ducal et l’église de la cour, curieusement fermée sur l’extérieur, la coupole de la « Frauenkirche », les terrasses «Brühlsche», avec l’Albertinum, le vieux pont « Augustus », tout est là, comme dans une peinture de Canaletto, la « Florence de l’Elbe »…
A Dresde comme à Weimar, les ducs et les princes se voulaient protecteurs des arts, et non bâtisseurs d’empire comme les prussiens ou les autrichiens, ils dépensaient leurs richesses en châteaux, peintures, musique, bijoux, porcelaine, plutôt qu’en soldats ou en fonctionnaires. Il reste tous ces trésors comme ceux de la couronne de Saxe, sans doute la plus belle collection de joyaux du monde… Tout cela fragile comme l’est la porcelaine ou la démocratie…
Car quand on s’approche, les blessures sont toujours là.
Bien sûr, on est stupéfait de voir reconstruit ce qui n’était que vide et gravas il y a 20 ans encore… Comme cette fameuse « Frauenkirche » dont il ne restait que quelques pierres noircies au milieu d’immeubles sinistres construits au cordeau par le régime communiste. Helmut Kohl, chancelier ouest-allemand a effectué là son premier voyage dans cette Allemagne de l’Est qui en quelques semaines après l’ouverture du mur allait s’effondrer jusqu’à la réunification. Et aujourd’hui coupole et croix scintillent au-dessus de la ville, églises et Palais sont à nouveau debout, même s’il manque et manquera sans doute toujours, toutes ces maisons anonymes et modestes qui leur servaient d’écrin et qui sont partie en flammes lors des terribles bombardements de février 1945.
3 nuits de bombes au phosphore, entre 35 000 et 300 000 morts…
Comme à Hiroshima ou à Nagasaki au Japon, était-il utile de donner l’ordre de raser cette ville qui appartient au patrimoine de l’humanité ? En Allemagne, certains pensent que non, estiment que cette punition infligée aux civils allemands était disproportionnée, quelques uns vont même jusqu’à accuser Churchill de crime contre l’humanité… Il est facile aujourd’hui d’en débattre, alors qu’en 1945, les nazis comme les militaires japonais préféraient que leurs peuples périssent jusqu’aux derniers plutôt que de se rendre. Et pendant ce temps-là, les barbares étaient toujours à l'oeuvre. Alors…
Il faut revenir à Weimar et lever la tête jusqu’aux douces collines qui entourent la ville. Des collines couvertes de forêts de bouleaux, d’ormes, de hêtres.
Des forêts de hêtres…« Buchenwald »… Il n’y pas un endroit d’où on ne puisse voir cette blessure, cette tâche, là au milieu des arbres, là à quelques kilomètres au-dessus des têtes, des consciences. Comment ont-ils pu ne pas le voir ce camp de concentration ? Comment ont-ils pu dire qu’ils ne savaient pas ? Comment ont-ils pu être aveugles et sourds, ne pas entendre et ne pas voir ces trains qui déversaient juifs, tsiganes, homosexuels, soldats russes, résistants, George Mandel, Léon Blum et bien d’autres jusqu’à ces baraquements aujourd’hui détruits, jusqu’à ces cheminées dont ils n’ont pas pu ne pas voir les fumées….
On est là au milieu de ce que la culture européenne a produit de plus raffinée et en levant la tête on frissonne en voyant ce qu’elle a produit de plus barbare.
Relire les mots d’Aimé Césaire, même si certains ont vieilli, comme ont vieilli les idéologies qui structuraient la pensée politique au début du XX° siècle, Aimé Césaire qui nous mettait en garde contre cette tentation de ne faire de la barbarie nazie qu’une affaire allemande, alors que ce n’est pas un hasard si elle s’est produite dans le pays qui était le phare de la civilisation européenne, qui elle-même se prenait pour le phare de la civilisation tout court.
« Et alors, un beau jour, (…) on est réveillé par un formidable choc en retour: les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets. On s’étonne, on s’indigne. On dit: «Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera !» Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens; on l’a cultivé, on en est responsable, (…) le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent »*.
Comme Barack Obama il faut faire ce voyage de Dresde à Weimar et à Buchenwald, comprendre et sentir ce que la civilisation européenne a produit de meilleur et de pire, s’émerveiller devant tant de beautés, s’inquiéter de la distance si faible qui sépare la civilisation de la barbarie. Pour que plus jamais l'ensauvagement

* Aimé Césaire. « Discours sur le colonialisme » 1950 http://www.cesaire.org/

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