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lundi 9 novembre 2009

Il y a vingt ans : Berlin, comment la banane est venue à bout du mur…

En me réveillant ce matin, j’ai eu envie de bananes.

Ce qui est curieux parce que sous nos latitudes, les bananes ne sont vraiment pas terribles, farineuses ou bien dures comme du fer. Mais comme l’ambiance est au 9 novembre, au vingtième anniversaire de la « chute » du mur, les bananes me sont devenues , ce matin, essentielles…

Parce que dans tout ce que l’on entend, dans tous ces témoignages de tous ceux qui apparemment étaient à Berlin ce 9 novembre au soir (c’est fou, à croire qu’on était des millions, alors que franchement, le 9 novembre à 20 heures entre Friedrichstrasse et Invalidenstrasse, il n’y avait que 3 pelés et 4 tondus, quant aux journalistes français, eh ! bien, on pouvait se compter sur les doigts d’une seule main !!!), dans tout ce que l’on entend il manque cet élément essentiel : LA BANANE…

J’entends de savants commentaires sur quand, pourquoi, comment le mur… Savants commentaires mais faux ou partiels ou arrangés après coup.

C’est fou, comme on peut réécrire l’histoire. Même nous, qui assistions à cette fameuse conférence de presse à l’I.P.Z, le centre de Presse international de Berlin- Est, nous ne sommes pas vraiment sûrs, vingt ans après, d’avoir assisté en direct-live à la « chute du mur de Berlin ». Il était quoi ? 17 h 30 – 18 h ? La conférence de presse du porte-parole du Comité central du Parti communiste est-allemand s’achevait dans le brouhaha, la confusion, l’imprécision. Les allemands de l’est allaient être autorisés à voyager à l’Ouest… A parti de quand ? ce soir ? Minuit ? Avec ou sans visa ? Avec passeports ? Personne ne savait vraiment.

Il faisait gris à Berlin ce soir là. Enfin, il faisait marron brouillasseux lignite, comme partout en Allemagne de l’Est. Caca d’oie, marron : C’était la couleur de l’ancienne RDA. Tout y semblait triste, et comme le disait un de nos confrères: Qu’y a-t-il à faire quand on rentre d’une semaine de reportage en RDA ? Foncer au dernier étage du KADEWE à Berlin-Ouest, pour y déguster une douzaine d’huîtres et un verre de blanc. Au milieu de ces montagnes de victuailles , de fromages, de charcuteries, de fruits, de BANANES.

C’est marrant : Si l’on en croit tous ces commentaires, ces témoignages, de tous ceux qui affirment que le 9 novembre, ils ont assisté à la destruction du mur Place de Postdam, ou Porte de Brandebourg, à croire que tout le mur est tombé d'un coup le 9 novembre, ça a dû faire un sacré bruit!!! Non, désolé de casser la baraque de tous ceux qui adorent le spectaculaire, mais le 9 novembre à 20 heures à Berlin, il ne se passait rien. Avec l’équipe de TF1, nous venions d’avaler un « Abendbrot » , sans banane me semble-t-il, à l’hôtel « Palast », et après avoir rapidement discuté avec Philippe Rochot de France 2, et Luc de Barochez de l’AFP , nous errions entre Unter den Linden et la Porte de Brandenbourg, dans l’espoir de trouver UN berlinois. Les rares personnes rencontrées n’étaient pas au courant qu’au lieu d’aller voir la « Flûte enchantée » à l’Opéra, ils auraient mieux fait de se préparer pour ce moment d’histoire. Non, ce soir-là personne ne se rendait compte, et surtout pas TF1 à Paris : La direction de la rédaction après m’avoir pris un bref « téléphone » dans le journal de 20 heures n’avait elle aussi rien compris, préférant aller assister à une fête plutôt que de s’intéresser à ce qui se passait à Berlin. Il faut dire qu’à l’époque (mais est-ce que ça a beaucoup changé ?), l’Allemagne n’intéressait pas : « Tu sais, Pierre, il faut que tu t’y fasses. L’Allemagne est un pays has been » m’avait confié à l’époque le directeur de l’information de ma chaîne.

Et puis, et puis… La foule : Passer à l’Ouest à check point Charlie ressemblait au RER aux heures de pointe… Les cloches, qui se sont mises à sonner… La joie…Un sentiment de liberté…

Dans notre métier, nous couvrons plutôt les drames, les morts, les révolutions ou les combats avec leurs lots de souffrances, de victimes, de morts. Deux ans auparavant, j’étais en Haiti pour le renversement de la dictature de Duvalier… Un petit matin de rêve, février aux Antilles est aussi doux que le printemps en Andalousie, la joie, la foule qui descend en chantant sur le centre de Port au Prince. Mais bien vite, les règlements de compte, les massacres, et aujourd’hui, Haiti en est où? Et pourtant en Haiti , il y a des bananes… alors qu’à Berlin, dans la nuit du 9 novembre , tout n’a été que joie, joie partagée, joie sans ombre, nationaliste ou raciste… les ombres sont venues après, dans attaques des foyers de travailleurs étrangers à Rostock par exemple, dans ces groupes de skinheads, qui nous faisaient baisser la voix au bord d’un petit lac où nous nous baignions en famille été 90, dans le Brandenbourg.

De Berlin, je n’ai rapporté qu’un bout de barbelés, ceux donnés par les soldats hongrois, le 2 mai, alors qu’ils démontaient devant nous le rideau de fer entre la Hongrie et l’Autriche. Une plaque de voiture DDR, donné par un fugitif est-allemand qui avait abandonné sa voiture « Trabant »pour passer à l’Ouest, c’était 3 mois avant ce fameux 9 novembre. Quelques gravas, bien sûr des bouts de mur, donnés par un soldat, un de ces soirs où le mur était percé, Porte de Brandenbourg, je crois. Un blason de la RDA, découpé du drapeau est-allemand par un fonctionnaire du ministère est-allemand de l’intérieur, qui se trouvait à l’époque tout près de check-point Charlie, et qui me l’avait donné par la fenêtre de son bureau…. Et puis la banane, les bananes, toutes ces bananes qui par millions ont envahi cette nuit là les rues de Berlin, achetées à l’Ouest par les allemands de l’Est pour lesquels ce fruit était le symbole du luxe le plus inouï…

La banane , c’est comme ma madeleine à moi. Difficile d’en voir une sans penser à cette nuit-là, à ces jours-là. Plus encore que le mur, c’était à l’époque le symbole de tout ce qui manquait aux allemands de l’Est. Pour nous banales bananes, pour eux l’objet de tous les désirs… A tel point que les allemands de l’Est eux-mêmes ont fini par baptiser la RDA : « Bananen Republik » jouant sur République des Bananes et République bananière.

Peut-être qu’il y a aussi un lien particulier entre les allemands et les bananes qui ne poussent pas chez eux. « Warum sind die Bananen krumm ?» « Pourquoi les bananes sont-elles tordues ?» c’est une des chansons que tous les petits allemands apprennent à la maternelle… Ca marque un peuple , non ?

Je n’aime pas retourner à Berlin. Parce que lorsque l’avion descend au-dessus de la ville et que je vois le Wannsee , la Havel et la Spree, les nouveaux gratte-ciels de la Porte de Postdam, la coupole du Reichstag, la tour de la télévision, il m’est difficile de retenir mes larmes. Comme lorsque, quelques années après le mur, nous avions quitté Berlin et qu’en voyant le camion qui emportait nos meubles, ils nous avaient été difficile de ne pas pleurer.

« J’ai toujours une valise à Berlin » « Ich hab’ noch einen Koffer in Berlin… ». C’est ce que chantait la grande Marlene Dietrich, qui dans ses dernières volontés , avaient désiré être enterrée à Berlin, qu’elle avait fui sous les nazis.

C’est ce que je chante ce matin, vingt ans après, en cherchant une banane.

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