Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1
en Allemagne
Jusque là tout allait bien.
En tout cas presque bien pour le régime communiste de Berlin-Est. Bien sûr, les
dernières semaines avaient été compliquées: Des dizaines de milliers de
« citoyens » avaient fui la D.D.R - D. D. R : R.D.A , République Démocratique Allemande:
Les officiels du gouvernement
communiste avaient une manière bien particulière de prononcer ce nom.
D’ailleurs, un peu comme l’allemand des nazis, le régime communiste avait créé
une sorte de novalangue, où des expressions convenues étaient répétées jusqu’a
être vidées de sens : La Patrie socialiste, L’Etat des ouvriers
et des paysans, le mur de protection antifasciste, la police
populaire, l’armée du Peuple… Plus personne n’y croyait vraiment,
mais tout le monde faisait semblant. Et puis il y avait un carré
d’irréductibles. Autour d’Erich Honecker, une vieille garde composée le plus souvent d’anciens combattants
antinazis exilés à Moscou, autour de laquelle avaient grandi des fonctionnaires
ayant fait toute leur carrière dans le Parti.
Cruel dilemme pour les
communistes est-allemands. D’un côté, ils ne pouvaient imaginer une vie sans
Moscou, et de l’autre, Moscou, c’était Gorbatchev, et Gorbatchev s’était
prononcé pour la transparence et
l’ouverture. Ouverture à Berlin-Est ? Késako ? Comme
Gorbatchev avait publiquement désavoué Honecker, on s’était débarrassé
d’Honecker. Sans avoir le scénario de l’après. Un peu par défaut, il avait
été remplacé par Egon Krenz, dont
le seul titre de gloire était d’avoir été dirigeant des »Pionniers »
et des Jeunesses socialistes.
Personne ne sachant exactement ce qu’il fallait faire ou pas, le comité central
était donc en réunion permanente. Et la presse étrangère avait pu obtenir des
visas afin de couvrir cette actualité officielle.
Ce matin-là, donc, un jeudi, il n’y avait rien de
particulier. Le pays n’était pas plus en crise qu’un mois auparavant. On nous
avait annoncé une conférence de presse en fin d’après-midi, à l’IPZ, le centre
de Presse internationale. Nous y sommes tous allés, nous n’étions pas très
nombreux, en somnolant d’avance. Le nouveau porte-parole du Comité central
avait beau avoir été rédacteur en chef de « Neues Deutschland »,
le journal du Parti, le qualifier de journaliste serait très exagéré. Et
d’ailleurs c’est parce qu’il a fait une grosse boulette que ce soir-là, il a
involontairement fait l’Histoire.
Günther Schabovsky nous lit
donc des communiqués officiels, et sans intérêt. Nous étions tous sur le point de nous en aller. Quand - et là,
l’histoire est maintenant bien connue - un confrère italien lui posa la fameuse
question : « Et qu’en est-il du projet d’autoriser les citoyens
est-allemands à voyager librement ? ». Schabovsky bafouille une
réponse hésitante : « Autorisation » « libre
circulation » « peut-être
ce soir » « minuit ? »
Je me souviens d’une petite
bousculade autour de lui, alors qu’il se dirigeait déjà vers la sortie. Je me
souviens de notre perplexité : « Qu’a-t-il voulu
dire? ». Nous nous
sommes appelés entre collègues : Philippe Rochot de France 2, Luc de
Barochez à l’époque pour l’AFP, Henri de Bresson, du Monde ; Je crois bien que c’est tout, en ce qui
concerne les confrères français. Je n’avais jamais revu, relu ou réécouté ce
que nous avons tous dit dans les JT de 20 h, ce soir là, sur nos différents
médias. Ce qui est frappant, c’est que nous, sur place, avons tous raconté
la même chose. Nous avons été factuels, donnant la nouvelle, mais sans annoncer
la chute du mur. Alors que nos rédactions à Paris annonçaient déjà que c’était
chose faite. Heureusement que les choses n’ont pas mal tournées.
Or, elles auraient pu se
transformer en bain de sang.
A 20 heures, il ne se
passait absolument rien à Berlin-Est. A l’Ouest, les chaînes allemandes,
s’installaient pour des « directs » depuis les différents points de
passage du mur, parce qu’elles pensaient qu’elles pourraient filmer les premiers
passages autorisés, sans doute vers minuit.
Les rues de Berlin-Est
étaient donc désertes. J’ai quand même averti l’équipe de tournage – il paraît
que j’ai laissé un mot pour tous : « tenez-vous prêts ». Nous sommes allés faire un tour devant
le premier point de passage au nord de la Porte de Brandebourg, à « Invalidenstrasse ».
L’Ouest n’était qu’à une centaine de mètres derrière le no man’s land et le
double mur. On ne le voyait pas. Mais on aperçevait des lumières, celles de
spots des télévisions de l’Ouest. Les garde-frontières étaient nerveux et
téléphonaient dans leurs guérites. Il n’y avait pas grand monde dans la rue
devant le poste-frontière. Ceux qui étaient là, avaient pris leurs passeports.
Au cas-où.
Et puis les gens ont commencé à arriver. C’était après les journaux du soir de la télévision ouest-allemande, interdite à l’Est, mais regardée par tous. 21h45 : Heute Journal sur ZDF; Puis 22h30 Tagesthemen sur ARD : « Si l’Ouest le dit, c’est que c’est vrai, on y va ».
Et puis les gens ont commencé à arriver. C’était après les journaux du soir de la télévision ouest-allemande, interdite à l’Est, mais regardée par tous. 21h45 : Heute Journal sur ZDF; Puis 22h30 Tagesthemen sur ARD : « Si l’Ouest le dit, c’est que c’est vrai, on y va ».
En quelques minutes, les
dizaines de personnes se sont transformées en raz-de-marée. Les gardes submergés
ont ouvert les barrières. Au début, ils ont bien tenté de contrôler. Ainsi,
parce que le passage d’»Invaliden Strasse », était réservé aux
allemands de l’Est, ils nous ont renvoyés vers « Check-point
Charlie » réservé aux occidentaux. En passant devant la Porte de
Brandebourg, on voyait déjà des manifestants, qui étaient montés sur le mur.
Mais à partir de l’Ouest, car à l’Est, l’armée avait pris position, et la peur
était encore trop grande. Dix minutes plus tard lorsque nous sommes arrivés à
check-point Charlie, c’était comme un RER aux heures de pointe.
Et puis:
Plus aucun contrôle, les
barrières sont levées, les soldats se retirent, c’est comme une digue qui
lâche.
Les cloches de Berlin-Ouest
se sont mises à carillonner. Tous les bars et les magasins ont rouvert à
l’Ouest. Tout le monde s’embrassait, on offrait des roses aux garde-frontières.
Mais à aucun moment, le mur n’a été détruit ou démonté ce soir-là. Attaqué à
coups de pioche, côté Ouest, oui, mais c’était symbolique. Côté Est, il
s’agissait d’ailleurs surtout d’aller faire une virée à l’Ouest, de « test
the west », et de retourner chez soi, avant que les enfants ne se
réveillent, en leur apportant peut-être quelques bananes…
Tout était joué ?
Non !
Il a aussi fallu qu’à
distance, Gorbatchev fasse savoir que les troupes sociétiques ne bougeraient
pas, et qu’il n’était pas question de réprimer ce mouvement par la force. Car
ce que l’on sait aujourd’hui et ce que le dernier chef de gouvernement
communiste Hans Modrow m’a expliqué plus tard en interview : Ce soir-là, à
Berlin-Est, il y avait des durs qui voulaient tirer dans le tas. Le bataillon
d’élite « Friedrich Engel» avait été mobilisé, les soldats armés étaient
montés dans des camions dont le moteur était allumé prêt à démarrer. Il s’en est donc fallu de peu que le 9
novembre ne se transforme en bain de sang ;
Tous les medias n’ont pas réagi
de la même manière. Ainsi, si tous se sont précipités à Berlin, dans la nuit ou
au petit matin, tous n’ont pas pris la mesure de l’événement.
Très vite en effet, toutes
les communications ont été saturées entre l’Ouest et l’Est. Et impossible de
passer à l’Est quand on venait de l’Ouest sans visa. Si à Antenne 2, Christine Ockrent,
comprenant les enjeux, avait décidé d’envoyer des moyens de communication, une
station satellite pour assurer les transmissions, à TF1, malheureusement, on
s’était plus intéressé au casting des « people » et des stars à
envoyer sur place qu’à l’intendance. La maquilleuse plutôt que le satellite.
Résultat : Pendant près de 3 jours, les seuls sujets que TF1 pouvait
diffuser étaient ceux transmis depuis la régie de la télévision est-allemande à
Adlershof à 30 Minutes du centre de Berlin. Pour nous y rendre, comme
Berlin-Est n’était plus qu’un gigantesque embouteillage, nous avions loué une
moto, et nous remontions les avenues à contre-sens sur les trottoirs pour
arriver à l’heure à la diffusion. Quand je dis nous, il faudrait préciser que
nous avions loué une moto est-allemande et son propriétaire, un jeune
instituteur ravi de l’aubaine, qui fonçait dans le froid en zigzagant entre les
« Trabant », moi je préférais fermer les yeux ! Une fois sur
place, course vers la diffusion, envoi du sujet, échange avec la régie à Paris,
et trajet retour, pour continuer à « tourner » non stop pendant une
semaine ! Les seuls contacts possibles avec Paris se faisaient à ces
moments-là depuis la régie de la télé est-allemande. Jusqu’à ce samedi 11
novembre, où TF1 avait annoncé une émission spéciale « Mur de
Berlin » à 13 h15, qui dû être remplacée, faute de liaison satellite, par
une émission de secours: un
documentaire sur les « Noces du sultan de Brunei » ! Au
même moment, sur Antenne 2 Christine Ockrent préparait ses premiers directs.
Je me souviens de notre échange
depuis la télé est-allemande avec les techniciens de la régie à Paris, le soir du
« ratage » :
« Et comment ça va à Paris ? «
« Ca barde »
« Qu’est-ce qui se
passe ? «
« Mougeotte vient d’arriver en salle de rédaction, il
est fou furieux »
« Ah ! bon, mais
qu’est ce qui se passe ? »
« Ouh là, c’est
Lelay qui vient d’arriver. Il hurle. Il veut tous les virer ». J’explique
alors aux techniciens de la régie que l’on peut essayer d’organiser des
directs avec les moyens techniques de la télévision est-allemande.
« Quitte pas, on appelle
Lelay ».
Patrick Lelay arrive au
téléphone. Il m’écoute en silence. Puis me dit : « Vous avez carte
blanche ».
Je lui précise que ça
risque de couter cher, et en dollars ou en deutschemarks.
« Vous avez carte blanche, quelqu’en soit le
prix ».
Dans la nuit, nous avons
appelé nos contacts à la télévision est-allemande. Des valises ont dû circuler;
24 heures plus tard, je faisais le premier direct depuis le mur, côté est, dans
le journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernaut.
Le mur de Berlin a signifié
aussi cela: L’entrée des medias dans un nouvel âge, celui des
« directs ».
Ce n’est qu’après le 9
novembre, que le mur a commencé à être ouvert, démantelé, que le mur est
tombé. Cela a pris plusieurs mois
, presque un an, et ce furent de belles journées, de beaux moments, une sorte
de Printemps allemand, qui commença en plein novembre, le jour d’après.
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