Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1
en Allemagne
De ce pays-là, il n’y avait
sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé.
25 ans plus tard quand on
retourne dans toutes ces provinces de l’ancienne Allemagne de l’Est, on est
estomaqué. Le gouvernement de la nouvelle Allemagne n’a pas lésiné, et l’effort financier demandé aux allemands de l’ouest a été kolossal ! Tout
a été refait au top niveau: Partout des éoliennes, du solaire, des routes
reconstruites avec tout au long, des centaines de kilomètres de pistes cyclables, le
câble, le très haut débit, des centres de recherche, des complexes commerciaux,
des usines flambant neuves. Partout les aménagements urbains ont été modernisés,
les façades repeintes, les monuments restaurés ou reconstruits. En fait les
plus belles régions de l’Allemagne sont là-bas et on les redécouvre. Car dans
son malheur, l’Allemagne de l’Est a eu la chance d’échapper à la reconstruction
sans goût des années 1960 en Allemagne de l’Ouest.
La Saxe a elle seule vaut le
voyage, avec Dresde, l’ancienne capitale, totalement détruite par les
bombardements de 1945, mais qui a retrouvé à coups de milliards son skyline de
« Florence « de l’Elbe. Leipzig, depuis le Moyen-Age, une des
principales villes de Foire d’Europe, qui a remis en lumière les beautés de ses
vieilles rues, de ses galerie marchandes, autour de l’église St Thomas où
composait un certain… Jean-Sébastien Bach ! Ou de St Nicolas, à partir
de laquelle s’organisaient les fameuses « Montagsdemo », les
manifs du Lundi qui à partir du mois de Septembre 1989, se sont mises à
ébranler le régime communiste. Avec la complicité de
l’attachée de presse de l’Ambassade de France à Berlin-Est, qui faisait passer
nos caméras dans sa voiture diplomatique, nous foncions tous les Lundi soirs
vers Leipzig, pour revenir avant minuit à Berlin afin de repasser à
l’Ouest sans être remarqués. Il en fallait du courage pour tous ces
manifestants qui ne pouvaient imaginer que la liberté viendrait si vite.
Tant de merveilles ont
retrouvé leur lustre dans l’ancienne RDA: La Thuringe, avec Erfurt, Fulda,
Eisenach, la forteresse de la Wartburg, où Martin Luther traduisit la Bible en
allemand, et bien sûr Weimar. Weimar qui a de nouveau son charme de capitale du
romantisme allemand et où l’on a plaisir à mettre ses pas dans ceux de Cranach,
Goethe, Schiller, Liszt, Wagner ou Nietzche. Jusque dans les belles forêts de
hêtres qui entourent la ville, mais là, c’est un autre souvenir qu’on ne peut
pas ne pas voir : Buchenwald, où les arbres ont laissé la place à l’un des
plus grands camps de concentration. Une plaie que l’on voit dés que l’on lève
les yeux n’importe où au centre ville: Une sinistre réponse à tous ceux qui prétendent : "On ne savait pas..."
Et puis il y a encore l’arrière-pays
de Berlin, le Brandebourg, avec Postdam, le Versailles prussien, et le célèbre
« Sans-Souci » où Frédéric II recevait Voltaire. Et puis encore entre
Berlin et la mer Baltique, ces paysages merveilleux, qui font penser au
« Roi des Aulnes », le roman de Michel Tournier, avec ces petits
villages serrés autour de leurs églises en brique, au bord de lacs
innombrables, et puis encore ces dizaines de villes, capitales d’anciens duchés
ou ports de la ligue hanséatique, Schwerin, et son château, une sorte de
Chambord mais sur une île, Wismar,
Stralsund, Güstrow, Greifswald. Et puis la mer Baltique qui prend parfois des
couleurs vert ou bleu mers du sud…avec des îles, comme Rügen, et ses falaises
de craie blanche, immortalisées par les peintures de Caspar David Friedrich, le grand peintre romantique
allemand. Près de Rostock, Heiligendamm, la plus ancienne station
balnéaire d’Europe, construite à la fin du XVIII ème siècle et réservée aux
princes d’Allemagne et d’Europe. Des palais tout blancs, de style néo-classique
face à la mer.
Nous y étions allés début
1989. L’ensemble avait été transformé en village de vacances pour syndicats et
membres du parti. Tout tombait en ruine. J’y suis retourné en 2007, pour le
sommet du G8, qui y était organisé (*) : « die weiße Stadt am meer
», la « ville blanche, le long de la mer » avait retrouvé
sa blancheur passée. L’ensemble est devenu un des fleurons d’un des plus grands
groupes hôteliers allemands ; ouest-allemand, soulignent les gens du coin. Bien souvent même si personne ne regrette
vraiment l’ancienne RDA, quand on discute avec le vendeur de saucisses du petit
« Imbiss » installé sur la plage, avec le réceptionniste de l’hôtel
qui avait appris le russe – obligatoire- et non l’anglais, avec la marchande de
souvenirs sur le port de Rostock, avec ces frères et sœurs qui se sont lancés
dans un petit élevage de truites et de carpes dans un des innombrables étangs
de la région, avec ce groupes de jeunes bikers faisant une pause dans le petit
port de Rerik, on entend partout la même petite musique, un peu amère, un peu nostalgique:
L’argent est venu de l’Ouest, avec les allemands de l’Ouest. Bataille du pot de
terre est-allemand contre le pot de fer ouest-allemand. Certains ont même dû
quitter leurs maisons ou leurs fermes, les anciens propriétaires faisant valoir
leurs droits sur des biens perdus depuis 70 ans. Les emplois sont, toujours, encore
plus nombreux à l’Ouest et 2 millions d’Est-allemands ont dû
« émigrer ». En 40 ans, s’était développée une sorte de « culture
est-allemande », faite de simplicité, du plaisir d’une journée en famille
ou entre amis à faire des grillades dans un petit chalet au bord d’un lac où
l’on se baignait à poil. « Datcha » et « Trabant » la
voiture pour y aller : Le
rêve de tout berlinois de l’Est. Et puis tout le monde travaillait, toutes les
femmes travaillaient. Les parents profitaient du réseau de crèches, qui même si
elles étaient mal équipées, avaient le mérite d’exister. Jusqu’en 1989, le taux
de natalité en Allemagne de l’Est était bien supérieur à celui de l’Ouest. En
1991, à Berlin, lorsque nous avons cherché des baby-sitters puisque à l’Ouest,
il n’y avait pas ou peu de crèches ou de jardins d’enfants, les candidates
berlinoises de l’Ouest nous faisaient des réflexions du genre : « Mais
pourquoi avez-vous des enfants, si c’est pour les faire garder ? ».
Et c’est donc Rosie une ancienne fonctionnaire des syndicats est-allemands, qui
est venue garder nos enfants. A 55 ans, elle avait bien compris qu’un monde
s’était écroulé et qu’il fallait maintenant qu’elle se débrouille toute seule. Et
les enfants en Allemagne de l’Est, on avait l’habitude! Comme elle, c’est toute
une génération qui s’est brusquement retrouvée sans repère.
Aujourd’hui encore, on sent,
non pas la division de l’Allemagne, mais des différences entre les
« Ossis » et les « Wessis ». On n’efface pas en 25 ans, 40
ans de communisme.
Et puis l’Allemagne est un
pays de régions à l’identité très forte: L’ancienne RDA, c’était la Prusse, la
Saxe, la Thuringe, le Mecklembourg. Un bavarois est sans doute culturellement plus
proche d’un autrichien que d’un berlinois ou d’un saxon…Evidemment, ce n’est
pas en allant passer 3 jours de reportage en Allemagne, sans parler allemand,
sans connaître l’Histoire que l’on peut sentir ces nuances.
Cette ignorance de
l’Allemagne explique d’ailleurs peut-être les difficultés qu’ont eues les
responsables français à comprendre ce qui allait se passer après le 9 novembre
89. Comme François Mitterrand qui, un moment, avait cru possible le maintien de
deux Allemagnes.
Cette ignorance explique
peut-être aussi les ratages de certains médias français, dont TF1. Il y en
avait qui croyaient que Berlin était située à la frontière entre les deux
Allemagnes !
Décidément cette journée du
9 novembre a été celle des couacs de communication, car personne n’avait décidé
ce jour-là de faire tomber le mur…
Demain : 6/7
Couacs de com’
(*) : Heiligendamm, symphonie baltique, Le Figaro
Magazine http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/06/02/01006-20070602ARTMAG90103-heiligendamm_symphonie_baltique.php
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