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mardi 19 janvier 2016

Der Erlkönig, le roi des Aulnes a fini par rattraper Michel Tournier.


Pour beaucoup, Michel Tournier qui vient de mourir, c’est « Vendredi », dans sa version «  pour enfants », étudiée dans toutes les écoles : « Vendredi ou la vie sauvage » ; Tant mieux si le plus grand nombre ne retient de son œuvre que ce livre, car on y trouve toutes ses qualités : Transformer et dynamiter les grands mythes de notre culture. Transformer la philosophie en romans, et pas bas de gamme.
Vendredi n’est plus le sauvage civilisé par Robinson Crusoe comme c’est le cas dans l’œuvre d’origine de Daniel Defoe. Il est au contraire l’autre qui enrichit et transforme Robinson en lui faisant découvrir une autre conception du monde. L’inverse de la colonisation  qui est toujours une violence sur l’autre. C’est l’annonce de notre monde contemporain qui s’enrichit, ou plutôt devrait s’enrichir par l’apport des autres.
Mais il y a aussi, surtout ? « Le roi des Aulnes ». A une époque où l’Allemagne est rarement aimée, parfois détestée, souvent jalousée, toujours ridiculisée, « Achchch ! Frau Merrrkel ! », alors que les allemands sont nos partenaires les plus proches, incontournables, mais que nous sommes de moins en moins nombreux à les connaître (Qui apprend encore l'allemand, vraiment ?) , cette œuvre de Michel Tournier est incontournable.
Une nouvelle fois, un des grands mythes de la culture occidentale est exploré par l’écrivain qui en fait un roman haletant, une épopée, un conte philosophique dans une langue superbe. 
Car le roi des Aulnes est un des mythes de la culture allemande. Goethe en a fait un des poèmes les plus connus, que même les incultes en langue allemande peuvent réciter : « Wer reitet so spät, durch Nacht und Wind. Es ist der Vater mit seinem Kind » : « Quel est ce cavalier qui chevauche dans la nuit et le vent. C’est le père avec son enfant ». Qu’ils peuvent même chanter puisque Franz Schubert a transformé le poème en l’un de ses plus beaux Lieder.
Le roi des Aulnes est un ogre qui dévore les enfants, Michel Tournier en fait un ogre qui dirige un centre des jeunesses hitlériennes, dans une forteresse au milieu des forêts profondes de la Prusse orientale. Il y aurait tant à dire ce ce que l’on retire de la lecture du « Roi des Aulnes », mieux vaut le lire et s’autoriser toutes les lectures.
Tous les confrères qui ont eu la chance de rencontrer Michel Tournier ont été passionnés. Comme Michel Martin Rolland  dont le très beau livre d’entretiens (1) est sans doute l’un des derniers réalisé avec Michel Tournier, dans son presbytère de Choisel où il vient de mourir: « Lorsque la conversation cesse, il m’offre un communard – crème de cassis et bourgogne rouge – que l’on sirote, debout dans la cuisine, en admirant sous la fenêtre le jeu des chatons roux qui attendent preneurs et en pariant sur les chances d’éclosion des roses en bouton devant l’assaut glacial des fins de nuit qui donne tout son prix à la douceur ensoleillée de ces dernières journées d’automne. Il les déguste du fond de son hiver ».
A la fin du poème de Goethe, le Roi des Aulnes, qui inspira Tournier, le père qui chevauche n’arrive pas à arracher son enfant à la mort. « Er hält in den Armen das ächzende Kind, Erreicht den Hof mit Mühe und Not ; In seinen Armen das Kind war tot ». « Il tient dans ses bras l'enfant gémissant, Il arrive à grand peine à son port ; Dans ses bras l'enfant était mort. » Et dans le Lied de Franz Schubert ce dernier mot « Tod », « mort » provoque l’épouvante.
La chevauchée de Michel Tournier vient de s’achever.
Nous vivons une e-poque formidable.

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(1) Michel Tournier "Je m'avance masqué ; entretiens avec Michel Martin-Rolland" Editions Ecriture

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