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dimanche 13 mars 2016

Jeunesse : Faute d’idées, parlons de l’âge du capitaine.


 
Faute de débats d’idées, faute d’idées, nous débattons de l’âge du capitaine. Entendez, de l’âge de nos politiques. Nous vivons avec deux clichés :
- Etre jeune, ce serait une garantie de modernité.
- Les jeunes sont exclus de l’accès au pouvoir, une sorte de « plafond de verre », qui fige notre société.
S’y ajoutent aussi bien sûr beaucoup de non-dits et d’arrières pensées. Par exemple dans le cas d’Alain Juppé, attaqué en douce sur son âge (70 ans), par ceux qui dans son camp, ne digèrent pas qu’il soit au plus haut dans les sondages. Ou quand on entend le Premier Ministre s’agacer de n’être plus le plus jeune en comparaison de son ministre de l’économie (54 ans pour Valls, 38 ans pour Macron). Or, comme l’écrit le sociologue Pierre Bourdieu : « L'âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; le fait de parler des jeunes comme d'une unité sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente ».
Focaliser l’attention sur l’âge de nos politiques, qui « n’écoutent pas la jeunesse », serait donc une manipulation. Mise en avant par des « vieux » qui détenant des postes clés, par exemple dans les partis, les entreprises ou les médias ( oui, les médias aussi)  font du jeunisme pour éliminer la concurrence et mieux protéger leur pouvoir. Pierre Bourdieu explique encore : «  Les rapports entre l'âge social et l'âge biologique sont très complexes. Si l'on comparait les jeunes des différentes fractions de la classe dominante, par exemple tous les élèves qui entrent à l'École Normale, l'ENA, l'X, etc., la même année, on verrait que ces « jeunes gens » ont d'autant plus les attributs de l'adulte, du vieux, du noble, du notable, etc., qu'ils sont plus proches du pôle du pouvoir ».
Beaucoup de nos jeunes énarques ou normaliens brillants – c’est presque un pléonasme – seraient ainsi déjà « vieux et notables ».
Ainsi, la communication de l’Elysée est-elle devenue plus « jeune » et plus efficace depuis qu’elle est dirigée par un Gaspard Gantzer, de 37 ans ? On s’extasie aujourd’hui devant les 38 ans de Macron, mais à cet âge-là, Laurent Fabius était nommé Premier Ministre. A-t-il mené une politique plus jeune ?
Ce débat nous est très particulier. Et la plupart de nos voisins n’ont pas autant l’obsession de l’âge.
Comme la Grande-Bretagne avec une Reine, très populaire et très âgée, et des Premiers Ministres, très jeunes, Tony Blair Premier Ministre à 38 ans, ou David Cameron, à 44 ans… En Espagne, nous interprétons l’émergence de Ciudadanos ou Podemos, comme des mouvements de « place aux jeunes », en oubliant que déjà, en 1982, Felipe Gonzalez, 40 ans, devenait Président du gouvernement. 
Notre obsession de la jeunesse n’est-il pas signe de vieillissement ? Car c’est peut-être triste, mais démographiquement, l’avenir de la France est dans les têtes « grises ». Déjà le nombre des plus de 60 ans dépasse le nombre des moins de 20 ans. Et si le chômage des jeunes, très élevé certes, est un problème, le chômage des « seniors » l’est encore plus, mais on en parle moins. En Europe, la France détient ainsi le record d’inactivité des plus de 55 ans. Avec comme conséquence, la rupture de la transmission du savoir et de l’expérience.
Et puis c’est quoi être jeune ? La petite fille Le Pen est peut-être jeune biologiquement, mais n’est-elle pas le vestige d’époques et d’idéologies vieilles comme le pétainisme ?
« On est toujours le vieux ou le jeune de quelqu'un. C'est pourquoi les coupures soit en classes d'âge, soit en générations, sont tout à fait variables et sont un enjeu de manipulations » écrit encore Bourdieu…
Nous vivons une e-poque formidable.

Pierre Bourdieu : Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984

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