Faute de débats d’idées, faute d’idées, nous débattons de
l’âge du capitaine. Entendez, de l’âge de nos politiques. Nous vivons avec deux
clichés :
- Etre jeune, ce serait une garantie de modernité.
- Les jeunes sont exclus de l’accès au pouvoir, une sorte de
« plafond de verre », qui fige notre société.
S’y ajoutent aussi bien sûr beaucoup de non-dits et d’arrières
pensées. Par exemple dans le cas d’Alain Juppé, attaqué en douce sur son âge
(70 ans), par ceux qui dans son camp, ne digèrent pas qu’il soit au plus haut
dans les sondages. Ou quand on entend le Premier Ministre s’agacer de n’être
plus le plus jeune en comparaison de son ministre de l’économie (54 ans pour
Valls, 38 ans pour Macron). Or, comme l’écrit le sociologue Pierre Bourdieu : « L'âge est une donnée biologique socialement
manipulée et manipulable ; le fait de parler des jeunes comme d'une unité
sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces
intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation
évidente ».
Focaliser l’attention sur l’âge de nos politiques, qui
« n’écoutent pas la jeunesse », serait donc une manipulation. Mise en
avant par des « vieux » qui détenant des postes clés, par exemple dans les partis, les entreprises ou les médias ( oui, les médias aussi) font du jeunisme pour éliminer la
concurrence et mieux protéger leur pouvoir. Pierre Bourdieu explique
encore : « Les rapports entre
l'âge social et l'âge biologique sont très complexes. Si l'on comparait les
jeunes des différentes fractions de la classe dominante, par exemple tous les
élèves qui entrent à l'École Normale, l'ENA, l'X, etc., la même année, on
verrait que ces « jeunes gens » ont d'autant plus les attributs de l'adulte,
du vieux, du noble, du notable, etc., qu'ils sont plus proches du pôle du
pouvoir ».
Beaucoup de nos jeunes énarques ou normaliens brillants –
c’est presque un pléonasme – seraient ainsi déjà « vieux et notables ».
Ainsi, la communication de l’Elysée est-elle devenue plus
« jeune » et plus efficace depuis qu’elle est dirigée par un Gaspard
Gantzer, de 37 ans ? On
s’extasie aujourd’hui devant les 38 ans de Macron, mais à cet âge-là, Laurent
Fabius était nommé Premier Ministre. A-t-il mené une politique plus
jeune ?
Ce débat nous est très particulier. Et la plupart de nos
voisins n’ont pas autant l’obsession de l’âge.
Comme la Grande-Bretagne avec une Reine, très populaire et
très âgée, et des Premiers Ministres, très jeunes, Tony Blair Premier Ministre à
38 ans, ou David Cameron, à 44 ans… En Espagne, nous interprétons l’émergence
de Ciudadanos ou Podemos, comme des mouvements de « place aux jeunes »,
en oubliant que déjà, en 1982, Felipe Gonzalez, 40 ans, devenait Président du
gouvernement.
Notre obsession de la jeunesse n’est-il pas signe de
vieillissement ? Car c’est peut-être triste, mais démographiquement, l’avenir
de la France est dans les têtes « grises ». Déjà le nombre des plus
de 60 ans dépasse le nombre des moins de 20 ans. Et si le chômage des jeunes,
très élevé certes, est un problème, le chômage des « seniors » l’est
encore plus, mais on en parle moins. En Europe, la France détient ainsi le record d’inactivité des plus de 55
ans. Avec comme conséquence, la rupture de la transmission du savoir et de
l’expérience.
Et puis c’est quoi être jeune ? La petite fille Le Pen
est peut-être jeune biologiquement, mais n’est-elle pas le vestige d’époques et
d’idéologies vieilles comme le pétainisme ?
« On est toujours
le vieux ou le jeune de quelqu'un. C'est pourquoi les coupures soit en classes
d'âge, soit en générations, sont tout à fait variables et sont un enjeu de
manipulations » écrit encore Bourdieu…
Nous vivons une e-poque formidable.
Pierre Bourdieu : Questions de sociologie,
Éditions de Minuit, 1984
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