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Haïti n'est pas un pays maudit, mais un pays puni. |
Depuis quelques heures Haïti est de nouveau dans l’actualité.
Pour de méchantes raisons. Pour de mauvaises raisons. Encore une catastrophe.
Encore. Encore des « Le bilan
s’alourdit », comme si un cyclone sur Haïti ne pouvait faire «
que » 10 ou 20 morts. Le pays était déjà tellement à terre, à chaque
nouveau coup du sort on ne se demande même plus comment il peut s’enfoncer
encore un peu plus.
Avec l’arrivée des « envoyés spéciaux », ce ne
sont qu’images de désolation, de végétation explosée, de ponts emportés, de
maisons écrasées. Maison: C'est un grand mot pour cet enchevêtrement de
tôles, de toiles plastic, de planches, qui faisait office d’habitat pour beaucoup d'haïtiens depuis l’explosion des bidonvilles et depuis le
tremblement de terre de 2010.
Le 12 janvier 2010, à 16 heures 53
minutes, la terre tremble pendant 2 minutes et demi. Port-au-Prince, la
capitale, est la plus touchée. Plus de 300 000 morts, 300 000 blessés,
1 million et demi de sans abris. Il y a une sorte de complaisance morbide
à aligner ces chiffres. Parce que le plus rageant c’est que dans un autre pays,
le même séisme n’aurait fait « que » un millier de morts, pas 300
000. C’est comme si la vie d’un haïtien valait 10 fois moins que celle d’un
dominicain, 1000 fois moins que celle d’un américain. Depuis longtemps, la
plupart des haïtiens vivent « nan fatra», Fatra, c’est le mot en créole
pour dire « ordures » « poubelle ». Bien sûr il y a eu
le tremblement de terre; Bien sûr, il y a aujourd’hui Matthew, mais il y a
surtout l’absence d’Etat, l’absence d’infrastructures, comme si Haïti se
désintégrait toujours un peu plus, d’année en année, dans l’indifférence
mondiale générale.
Il y a six ans invité à réagir sur I-Télé au tremblement de
terre, la présentatrice, pourtant d’origine antillaise, me demanda :
« Pierre, Haïti est vraiment un pays maudit ».
J’avais tenté alors d’expliquer que non, Haïti
n’était pas un pays maudit, mais un pays puni. Puni par son histoire, celle
d’une poignée d’esclaves qui s’étaient soulevés pour se battre au nom de Liberté,
égalité, fraternité, et qui, une fois libres, en 1804, Première République
noire dans un monde encore dominé par l’esclavage, avaient été soumis à un
blocus qui enferma le pays sur lui-même pendant des dizaines d’années.
L’histoire d’Haïti est celle d’un pays puni
par ses voisins: Les américains qui fermèrent les yeux sur la dictature des
Duvalier parce que à quelques dizaines de kilomètres des côtes haïtiennes il y
avait la Cuba de Fidel Castro. La République dominicaine dont les dirigeants
n’ont eu de cesse que de « blanchir » leur « race ». Il
faut rappeler qu’en octobre 1937, le dictateur Trujillo lança l’opération
« perejil », persil , qui massacra 20 à 30 000 haïtiens, qui travaillaient
comme ouvriers agricoles dans les campagnes. Un massacre qui ne s’arrêta que
devant les protestations du Président américain Roosevelt. Il faut rappeler
qu’aujourd’hui Saint-Domingue tire profit de la pauvreté des haïtiens dont plusieurs
centaines de milliers travaillent comme des quasi esclaves dans les champs de
canne ou dans les hôtels de l’ile.
Non Haïti n’est pas
un pays maudit. La région qui vient d’être la plus touchée par Matthew
était une des plus préservées, une des plus belles et l’on pense à ces villages
et villes de cette langue de montagnes couvertes d’une végétation luxuriante,
de mornes, et d’anses qui s’allongent vers l’Ouest jusqu’à toucher Cuba,
presque.
A-t-on des nouvelles des Abricots, de sa baie si belle et où
l’on avait l’impression qu’un développement était possible, qu’il n’y avait pas
de fatalité à la misère, quand il y avait des hommes honnêtes et de bonne
volonté, comme son maire l’écrivain Jean-Claude
Fignolé ? A-t-on des nouvelles de Trou Bonbon, Dame-Marie, Moron, Chambellan,
tous ces villages qui évoquaient plus des odeurs de goyave, de cacao, de café,
de canne, des récoltes de miel, et non celles de la mort et de la désolation.
Non Haïti n’est pas
un pays maudit, c’est un pays oublié, ignoré, dont on ne parle que tous les
dix ans, à chaque catastrophe. Le reste du temps, les haïtiens n’embêtent
personne, ils ne détournent pas d’avions, ne posent pas de bombe. Sans Etat ou
presque - le pays est sans Président depuis des mois et devait voter le 9
octobre dernier - Haïti est un
pays ouvert à tous les vents, toutes les mafias, tous les trafics, depuis celles
de la drogue, des armes, de toutes les aides aussi : Haïti est devenue un laboratoire
pour toutes sortes d’organisations humanitaires qui ont mis le pays sous coupe
réglée et dont les 4x4 sont encore plus nombreux que ceux de la bourgeoisie
haïtienne dans les rues de Port-au-Prince.
Finalement depuis le
7 février 1986, depuis la fuite de Jean-Claude Duvalier, fils du sinistre
Papa Doc, qui avait instauré une dictature obscurantiste pendant près de 30 ans,
Haïti n’a connu que quelques heures de bonheur et de liberté. Ce matin du 7
février, quand la nouvelle se répandit avec le lever du soleil, de l’aéroport
jusqu’aux faubourgs, Pétionville, Croix-des-Bouquets, Fermat, Kenscoff, des
foules joyeuses se mirent à converger vers le centre ville, le Champ-de-Mars,
portant des palmes et chantant des hymnes à la liberté. Dans la belle lumière
du petit matin, ce furent des moments de grâce ; Qui se terminèrent très vite
en bain de sang. Quelques mois plus tard, des hommes de mains payés par tous
ceux qui n’avaient pas intérêt à ce que le pays se remette debout, et ils sont
nombreux, massacrèrent à coups de machettes des centaines d’haïtiens qui
s’étaient pressés dans les bureaux de vote pour les premières élections libres
du pays.
Dans quelques jours, notre indifférence retombera sur Haïti.
Et pour garder l’espoir que le pire n’est jamais certain, nous nous mettrons à
réécouter la chanteuse Toto Bissainthe : Ayiti sé Manman Libété si’l tonbé l’al lévé. Haïti est la mère de
la Liberté. Si elle tombe, elle se relèvera.
Nous vivons une e-poque formidable.
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