Un moment unique de joie partagée |
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
On le sait maintenant : le 9 novembre, rien ne bougeait à Berlin-Est. Jusqu’à cette fameuse boulette de communication du porte-parole du Parti Communiste, bafouillant que « ce soir, maintenant, les allemands de l’est pourraient voyager librement ». C’était vers 18 h. Sur le coup, rien ne bougea non plus. Les allemands de l’Est attendèrent les JT des chaînes de l’Ouest, que tout le monde à l’Est regardait clandestinement, pour y croire et pour vers 21h, 21h 30 se rendre aux checks-point du mur, munis de leurs papiers. Et là…
Et là, 30 ans plus tard, j’en ai encore la chair de poule, les larmes aux yeux. On a rarement dans une vie de journaliste, dans une vie tout simplement, la chance de vivre de tels moments.
Un événement historique bien sûr, mais surtout la joie / qu’il était impossible de ne pas partager/ le bonheur d’être libre, un bonheur tout simple et immense à la fois.
C’était beau.
Il n’y avait pas l’once de nationalisme ou de revanchisme allemand, et dans cette joie, tous pouvaient se sentir inclus, d’où que l’on vienne.
Rien d’étonnant donc à que le musicien russe exilé Rostropowitsch ait pris le premier avion avec son violoncelle, pour venir jouer du Bach au pied du mur.
Ni à ce que tant d’anonymes , des étudiants , et même des hommes politiques aient foncé vers Berlin pour venir vivre ces moments-là.
C’était très beau, ces rires, ces pleurs, ces chants dans la nuit, et les cloches de toutes les églises de Berlin-Ouest qui se mirent à sonner. La liberté n’était plus un mot, un concept, elle devenait devenait concrète .
Dans les nuits et les jours qui ont suivi, nous n’avons pas touché terre.
Berlin avait été submergé par des millions de personnes qui voulaient visiter Berlin-Ouest, se balader sur le Ku-Damm, et acheter des « bananes ». Les bananes, ce fruit dont les allemands de l’Est étaient pratiquement privés, leur apparaissaient comme le comble du luxe. Il fallut d’urgence en importer pour ravitailler les magasins de l’Ouest.
Un immense bouchon paralysa la ville, il fallut très vite élargir les postes frontières, puis ouvrir des brèches dans le mur, chaque nouvelle ouverture était un événement, jusqu’à la Porte de Brandebourg, quelques semaines plus tard.
Nous avons travaillé non-stop : Tournage , montage, mixage, et hop ! en selle sur une moto que nous avions louée pour nous rendre en roulant sur les trottoirs, à contre-sens du flot de voitures, à 10 kilomètres du centre de Berlin, à Adlershof, le siège de la télévision est-allemande, d’où nous diffusions vers Paris.
Tous les réseaux téléphoniques ou satellites étant totalement submergés à l’Ouest, c’était d’ailleurs notre seul moyen de communiquer avec la rédaction. TF1 n’ayant pas prévu au départ, contrairement à Antenne 2 de Christine Ockrent, d’envoyer des moyens techniques supplémentaires, pendant 3 jours, seuls nos reportages et nos directs depuis l’Est arrivaient à Paris.
Pour TF1 une boulette, certes moins historique que celle de Günter Schabovsky, mais un « ratage » quand même, un mauvais souvenir qui a été ensuite rapidement mis sous le tapis.
Un matin, sur notre moto à contre sens, nous avons fait une embardée en essayant d’éviter une voiture, un instant j’ai imaginé un accident, et nous gisant à terre, sans possibilité d’être secourus, car tout était bloqué ; et je me suis dit : « C’est couillon, je vais mourir là dans l’indifférence générale alors que autour de moi c’est l’Histoire qui est en marche ».
Et puis , il y a eu l’après,
Helmut Kohl effectuant sa première visite à Dresde,
François Mitterrand à Berlin, et puis les élections libres, et puis, la réunification, et puis, les premières agressions contre des étrangers et puis… Et puis …je vous le raconterai demain .
Et l’on écoute quelques mesures des « Suites pour violoncelle » de Jean-Sebastien Bach , joué par Rostropowitsch , le 11 novembre au pied du mur…
https://www.dailymotion.com/video/x29e4y2
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