La banane, symbole de la faillite économique de la RDA
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1
en Allemagne
« Warum, warum ist die Banane krumm ? » « Pourquoi la banane est-elle tordue ? ».
La banane semble être chez les allemands l’objet de tous les fantasmes– allez
savoir pourquoi ? - Et cette phrase est connue comme une sorte de comptine
par tous les petits enfants. Peut-être parce que malgré tous les mérites du
génie allemand, les bananiers n’ont pas encore pris racine sur les bords du
Rhin.
Mais dans l’ancienne RDA, les bananes étaient en plus le symbole du luxe,
de l’opulence, le symbole de toutes les pénuries.
J’ai effectué mon premier
reportage en Allemagne de l’Est en 1987. Ce n’était pas une mince affaire à
organiser. Il fallait négocier pendant des semaines avec une direction d’un
ministère s’occupant de la presse étrangère, s’entendre sur un itinéraire, des
lieux à visiter, des personnes à interviewer. Pas question de se pointer comme
cela dans une rue et tendre son micro. Et puis l’on vous imposait des hôtels,
toujours les plus chers évidemment, des entreprises ou des expositions que le régime considérait être des
vitrines de la réussite économique du pays. Et qu’importe si nous parlions
allemand, nous étions obligatoirement accompagnés par une interprète ( je
précise bien, une), souvent l’épouse d’un diplomate qui avait été en poste (
conseiller militaire ?) à Alger ou Conakry… Même si la langue de bois
était de rigueur, on apprenait au fil du voyage, que lorsqu’elle avait été en
poste à l’étranger avec son mari, leurs enfants devaient rester en Allemagne de
l’Est... Et c’était curieux de voir comment, à chaque fois que nous faisions une
pause, elle se précipitait pour téléphoner: Compte-rendu obligatoire à
ses chefs sur les activités des journalistes étrangers.
Nous en avons fait des
Hôtels : Metropole, Kongress ou Palast, ou des restaurants: Spoutnik ou Gagarine: La classe
internationale, le haut de gamme, payables en devises de l'Ouest. En fait tous étaient plus miteux les uns que
les autres. Les cartes des restaurants étaient partout les mêmes, avec des
spécialités comme le « vol-au-vent », en français dans le
texte, et le champagne est-allemand, « Rottkäppchen » »
Petit chaperon rouge » qui vous rendait malade pour la soirée.
Les
complexes industriels, les « kombinat », les « VEB » étaient terrifiants de rouille et de
pollution. Le pire sans doute: Les mines de lignite à ciel ouvert, avec
leurs énormes excavatrices qui avalaient des régions entières avec forêts,
champs et villages, dévastant tout le sud-est du pays, autour de Cottbus, près
de la frontière polonaise. Et partout ces successions d’HLM, préfabriquées en
mauvais béton, ces énormes tuyaux de chauffage qui longeaient toutes les rues
au-dessus des trottoirs. Et à partir du mois d’Octobre, tout le pays était recouvert
d’un brouillard jaunâtre, la pollution due au lignite, ce mauvais charbon, dont
la RDA était un des premiers producteurs au monde. Même Berlin-Ouest en était
couvert, puisque cette pollution était une des rares choses qui pouvait
franchir le mur!
Un de nos confrères
français avait coutume de dire pour plaisanter : «Comment se
remonter le moral après une semaine de reportage en RDA ? Foncer au
dernier étage du Kadewe, le grand magasin de Berlin-Ouest ! »
Parce que c’était l’étage alimentation, avec restaurants, bars, épiceries, où
l’on pouvait trouver des montagnes de saucisses, des kilos de fromages, des
pyramides de fruits… Et des bananes: L’opulence du monde capitaliste !
Le soir du 9 novembre,
lorsque les allemands de l’Est purent se rendre à Berlin-Ouest, ils se ruèrent
sur les bananes, les ramenant chez eux par caddies entiers. A tel point qu’un
peu méchamment, les allemands de l’Ouest appelèrent la République Démocratique
Allemande, « Bananen Republik », un mix entre République bananière et
République des bananes.
Rétrospectivement, rien
d’étonnant donc que la plus forte économie des pays de l’Est n’ait pas résisté,
ne serait-ce qu’une année, à l’ouverture du mur en novembre 1989. En quelques
mois, toutes ces « VEB » , ces « Entreprises Propriétés du
Peuple » se sont volatilisées. L’ancienne RDA s’est très vite vidée de ses
forces vives, des plus qualifiés, des plus jeunes, près de 2 millions qui sont partis travailler à l’Ouest. On
n’a qu’une seule vie…
De ce pays-là, il n’y avait
sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé… Et pourtant,
enfermés derrière leur mur, les allemands de l’est avaient développé une
culture qui leur était propre, qui privilégiait la famille, les rapports
simples entre amis, puisqu’aucun épanouissement n’était possible dans la sphère
publique ou professionnelle.
Certains regrettent cette RDA-là. On parle
d’ « Ost-algie »
Demain : BERLIN : Le soir où le mur n’est pas
tombé : 5/7 Ostalgie
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