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jeudi 6 novembre 2014

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 4/7 : Bananen Republik – La République des bananes

La banane, symbole de la faillite économique de la RDA
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne

« Warum, warum ist die Banane krumm ? » « Pourquoi la banane est-elle tordue ? ». 
La banane semble être chez les allemands l’objet de tous les fantasmes– allez savoir pourquoi ? - Et cette phrase est connue comme une sorte de comptine par tous les petits enfants. Peut-être parce que malgré tous les mérites du génie allemand, les bananiers n’ont pas encore pris racine sur les bords du Rhin. 
Mais dans l’ancienne RDA, les bananes étaient en plus le symbole du luxe, de l’opulence, le symbole de toutes les pénuries. 
J’ai effectué mon premier reportage en Allemagne de l’Est en 1987. Ce n’était pas une mince affaire à organiser. Il fallait négocier pendant des semaines avec une direction d’un ministère s’occupant de la presse étrangère, s’entendre sur un itinéraire, des lieux à visiter, des personnes à interviewer. Pas question de se pointer comme cela dans une rue et tendre son micro. Et puis l’on vous imposait des hôtels, toujours les plus chers évidemment, des entreprises ou des expositions  que le régime considérait être des vitrines de la réussite économique du pays. Et qu’importe si nous parlions allemand, nous étions obligatoirement accompagnés par une interprète ( je précise bien, une), souvent l’épouse d’un diplomate qui avait été en poste ( conseiller militaire ?) à Alger ou Conakry… Même si la langue de bois était de rigueur,  on apprenait au fil du voyage, que lorsqu’elle avait été en poste à l’étranger avec son mari, leurs enfants devaient rester en Allemagne de l’Est... Et c’était curieux de voir comment, à chaque fois que nous faisions une pause, elle se précipitait pour téléphoner: Compte-rendu obligatoire à ses chefs sur les activités des journalistes étrangers.
Nous en avons fait des Hôtels : Metropole, Kongress ou Palast,  ou des restaurants: Spoutnik ou Gagarine: La classe internationale, le haut de gamme, payables en devises de l'Ouest. En fait tous étaient plus miteux les uns que les autres. Les cartes des restaurants étaient partout les mêmes, avec des spécialités comme le « vol-au-vent », en français dans le texte, et le champagne est-allemand, « Rottkäppchen » » Petit chaperon rouge » qui vous rendait malade pour la soirée. 
Les complexes industriels, les « kombinat », les « VEB »  étaient terrifiants de rouille et de pollution. Le pire sans doute: Les mines de lignite à ciel ouvert, avec leurs énormes excavatrices qui avalaient des régions entières avec forêts, champs et villages, dévastant tout le sud-est du pays, autour de Cottbus, près de la frontière polonaise. Et partout ces successions d’HLM, préfabriquées en mauvais béton, ces énormes tuyaux de chauffage qui longeaient toutes les rues au-dessus des trottoirs. Et à partir du mois d’Octobre, tout le pays était recouvert d’un brouillard jaunâtre, la pollution due au lignite, ce mauvais charbon, dont la RDA était un des premiers producteurs au monde. Même Berlin-Ouest en était couvert, puisque cette pollution était une des rares choses qui pouvait franchir le mur!
Un de nos confrères français avait coutume de dire pour plaisanter : «Comment se remonter le moral après une semaine de reportage en RDA ? Foncer au dernier étage du Kadewe, le grand magasin de Berlin-Ouest ! »  Parce que c’était l’étage alimentation, avec restaurants, bars, épiceries, où l’on pouvait trouver des montagnes de saucisses, des kilos de fromages, des pyramides de fruits… Et des bananes: L’opulence du monde capitaliste !
Le soir du 9 novembre, lorsque les allemands de l’Est purent se rendre à Berlin-Ouest, ils se ruèrent sur les bananes, les ramenant chez eux par caddies entiers. A tel point qu’un peu méchamment, les allemands de l’Ouest appelèrent la République Démocratique Allemande, « Bananen Republik », un mix entre République bananière et République des bananes.
Rétrospectivement, rien d’étonnant donc que la plus forte économie des pays de l’Est n’ait pas résisté, ne serait-ce qu’une année, à l’ouverture du mur en novembre 1989. En quelques mois, toutes ces « VEB » , ces « Entreprises Propriétés du Peuple » se sont volatilisées. L’ancienne RDA s’est très vite vidée de ses forces vives, des plus qualifiés, des plus jeunes,  près de 2 millions qui sont partis travailler à l’Ouest. On n’a qu’une seule vie…
De ce pays-là, il n’y avait sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé… Et pourtant, enfermés derrière leur mur, les allemands de l’est avaient développé une culture qui leur était propre, qui privilégiait la famille, les rapports simples entre amis, puisqu’aucun épanouissement n’était possible dans la sphère publique ou professionnelle. 
Certains regrettent cette RDA-là. On parle d’ « Ost-algie »

Demain : BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé : 5/7 Ostalgie


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