Les armoiries de l'Etat communiste découpées dans un drapeau de la RDA
Par
Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
Ce devait être un bel
anniversaire, ce 7 octobre 1989.
Sur l’avenue « Unter
den Linden » qui descend depuis la Porte de Brandebourg, les drapeaux
rouges flottaient au vent. Les façades étaient habillées d’immenses affiches de
propagandes, de slogans socialistes à la gloire des 40 ans de la République
démocratique allemande, l’« Etat des ouvriers et des
paysans », selon l’appellation officielle en langue communiste,
représenté sur le drapeau par un blason, des gerbes de blé entourant un
marteau et une équerre.
Devant la Neue
Wache où les soldats de l’unité d’élite Friedrich-Engels montaient
la garde, des tribunes avaient été installées pour les principaux dirigeants:
Erich Honecker, l’inamovible
secrétaire général du Parti Socialiste unifié d’Allemagne, le Parti communiste:
Visage de cire, lèvres pincées.
A ses côtés : son épouse,
la redouté Margot, ministre de la Culture – quelle plaisanterie quand on y repense
- surnommée sous le manteau, la « sorcière bleue », parce qu’elle
le valait bien avec la surprenante couleur de la teinture de ses
cheveux.
Et puis tous les dirigeants
des « pays frères », parmi lesquels bien sûr Gorbatchev.
Ce devait être un bel
anniversaire. Et au début tout avait bien commencé : Les troupes de
« l’armée du peuple » avaient défilé dans un ordre impeccable, au pas
de l’oie. Puis avait suivi le cortège des FDJ (prononcez : f-d-yot), la « Jeunesse
libre allemande », qui embrigadaient tous les jeunes est-allemands.
L’actuelle chancelière Angela Merkel en fût elle-même.
Tout cela au son de l’hymne
national de la RDA : « Auferstanden
aus Ruinen » « Ressuscité des ruines ». Une très
belle musique, composée par Hans Eissler, un des grands musiciens allemands du 20
ème siècle, élève d’Arnold Schoenberg à Vienne, compagnon de route et de
travail de Bertold Brecht, tous les deux communistes, tous les deux rentrés à
Berlin-Est après guerre pour participer à l’édification d’une Allemagne
socialiste.
Car, même si le régime, la dictature, avait
vidé les mots de leur sens, un certain nombre d’intellectuels qui avaient dû
fuir l’Allemagne nazie, avaient cru en 1945, qu’après ce qu’avaient fait les
allemands, les massacres commis dans toute l’Europe, les camps de
concentration, l’holocauste, il fallait faire du passé table rase,
construire une société nouvelle. Dans les années
1950, c’est ce qui fût fait littéralement : L’ancien château de Berlin,
certes en ruines, mais toujours debout, fût dynamité - c’est comme si le Louvre
avait été détruit - pour y édifier le « Palast der Republik », siège de l’assemblée du peuple. Ironie de
l’Histoire : 25 ans plus tard ce bâtiment a été à son tour rasé et l’on y
reconstruit les façades de
l’ancien château des rois de Prusse, avec notamment sa cour intérieur le
« Schlüterhof », une des
merveilles de l’architecture et de la sculpture classique allemandes.
Tout se passait bien. Jusqu’à
ce que Gorbatchev décide à la surprise générale, devant les caméras qui filmaient
en direct, d’être « Gorbi », l’homme de la perestroïka. Il sort des
tribunes, va saluer les spectateurs qui se mettent à crier : « Gorbi, Gorbi : Hilf uns :
Aide nous ! » et il
répond : « Celui qui est en
retard est puni pour la vie.». Cette petite phrase fait l’effet d’une
bombe. Tous les allemands de l’est vont se la répéter. Honecker est fou
furieux, mais il va être limogé dans les semaines qui suivent. Et alors que se
déroulent une soirée de gala au « Palast der Republik », des
manifestants viennent jusque sur les bords de la Spree qui longe la façade
arrière du bâtiment, scander des slogans repris depuis quelques semaines:
« Wir sind das Volk »
« Nous sommes le peuple »
et :« Die Mauer muss weg »
« Le mur doit tomber ». La
police secrète et ses gros bras en civil répriment violemment les manifestants,
hurlements, gaz lacrymogènes, explosions ; C’est la première fois qu’une
telle manifestation se déroule en plein cœur de Berlin. De l’autre côté de la
Spree, on voit les grandes fenêtres éclairées du Palast des Republik et
les silhouettes des invités du régime qui regardent. Se rendent-ils compte que
dans un mois, ils tomberont dans les poubelles de l’Histoire ?
Quant à l’Etat des ouvriers
et des paysans, il ne fit pas long feu après l’ouverture du mur. Je me souviens
d’un matin, ce devait être 2 ou 3 jours après le 9 novembre. Nous avons été
attirés par des rires qui sortaient d’un soupirail du très redouté Ministère de
l’Intérieur est-allemand. C’étaient des gardiens qui décrochaient les portraits
officiels et découpaient le blason est-allemand du drapeau. Contre 5 deutschmarks,
ils nous ont donné un portrait d’Honecker et un blason, que j’ai toujours
conservés depuis.
Ce devait être un bel
anniversaire.
Demain : 4/7 Bananen Republik – La République des
bananes
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