Emmanuel Macron et le nouveau député de la Guyane: Si pas le père Noël, qui et quoi alors ? |
Le candidat En Marche a donc
remporté les élections partielles en Guyane. Lénaïck Adam confirme sa victoire de
juin dernier invalidée pour cause de listes électorales non signées.
Jean-Luc Mélenchon qui avait
beaucoup mouillé la chemise en venant soutenir Davy Rimane, apparenté France Insoumise,
dénonce une élection à la « Corée du Nord ». Dans les communes du « fleuve », le
vainqueur, Lénaïck Adam a en effet obtenu jusqu’à 98 % des suffrages.
Cette comparaison est
insultante pour la Guyane et montre qu’il ne suffit pas de faire un Paris
Cayenne en business class pour comprendre les particularités électorales,
sociales, culturelles de ce département vaste comme un sixième de la France. Et
qui n’est ni Marseille, ni le Venezuela. Il faut faire un peu d’histoire.
La deuxième circonscription
de la Guyane, l’Ouest guyanais, est en fait constituée de deux régions bien
distinctes.
Le fleuve, le Maroni, où
vivent les descendants des esclaves échappés des plantations, il y a 300 ans. A
l’époque ils réussirent à former des tribus pratiquement indépendantes. Leur
pays était avant tout le fleuve, partagée entre la France d’un côté et la
Guyane Hollandaise, aujourd’hui Suriname de l’autre. Leurs tribus conservèrent beaucoup
d’éléments de leur culture africaine d’origine. Ils créèrent une langue
nouvelle, parlée aujourd’hui par beaucoup au Suriname, le sranan tongo, une langue très différente du créole guyanais ou
antillais. On les appelle les bushinengés,
les « noirs de la forêt » ou « noirs réfugiés ». Depuis
vingt ans, leur poids a considérablement augmenté dans la société guyanaise: Emergence
de nouvelles élites par le système éducatif, et en ce sens l’élection d’un « N’djuka »,
Lénaïck Adam, en est le symbole. Mais
surtout, arrivée massive de nombreux bushinengés fuyant la guerre civile et la
pauvreté au Suriname. Il leur suffit souvent de simplement traverser le fleuve.
A la maternité de Saint-Laurent du Maroni, l’immense majorité des femmes qui
viennent accoucher sont surinamiennes et leurs enfants peuvent souvent
bénéficier du « droit du sol », même si, contrairement à ce que pensent
beaucoup, il n’est pas automatique.
En dehors de toutes
considérations politiques, il n’est donc pas étonnant que Lénaïck Adam, premier
candidat originaire de ces tribus, fasse le plein des voix chez lui.
Mais l’autre partie de la circonscription,
qui commence aux portes de Cayenne, et regroupe les communes de la côte, les communes
des « savanes », avec notamment Kourou, est socialement et
culturellement bien différente. C’est la Guyane créole. Mais ce terme doit être compris non pas dans le sens antillais,
c’est-à-dire blanc colon, comme la
martiniquaise Joséphine, la première
épouse de Napoléon, mais noir et métis. Toute la classe politique guyanaise en
fait partie : De Christiane Taubira
à l’actuel Président de région Rodolphe
Alexandre, mais aussi Gaston
Monnerville, président du Sénat, Félix
Eboué, premier compagnon de la libération, du poète Léon-Gontran Damas ou de de l’écrivain René Maran, premier noir à obtenir le Prix Goncourt en …1921, pour « Batouala »
ou « Roman nègre » !
Davy Rimane,
le candidat France Insoumise, qui vient d’être battu, est lui-même un créole de
Kourou. Et l’histoire de sa famille est celle d’une Guyane qui a été
bouleversée par les 4O dernières années.
Jusque dans les années 60, les
habitants des communes côtières pratiquaient une agriculture et un élevage extensifs,
sur des terres sans vraie propriété, car la Guyane est immense. A l’abolition de
l’esclavage, en 1848, les esclaves libérés ne furent pas contraints de rester
travailler sur les plantations des békés,
contrairement à ce qui se passa en Guadeloupe ou Martinique. Ils prirent leurs
canots, remontèrent quelques kilomètres pour défricher un demi hectare ou un
hectare pour y faire leur « abattis »
et vivre ainsi entre cultures vivrières, chasse et pêche. Ensuite sont venus l’or, exploités surtout par
des immigrés des Antilles, et le bagne, avec pour un certain nombre de « créoles »,
des boulots de commerçants ou de fonctionnaires à Cayenne ou à Saint-Laurent.
Dans les années 60, l’arrivée
du Centre spatial de Kourou a été un premier choc. En expropriant et achetant à
bas prix des terres qui effectivement ne valaient pas grand-chose à l’époque, pour
y implanter la base de lancement d'Ariane, le gouvernement français a suscité un ressentiment, un
sentiment d’injustice qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Et puis il y a l’immigration d’une
ampleur que l’on ne peut pas imaginer en métropole. En 30 ans la Guyane est passée
de 50 000 à 200 000 habitants, C’est comme si la France de 50 millions d’habitants
en avait aujourd’hui… 200 millions. Les communes
sont dépassées, les écoles submergées, le système de santé a explosé, et les
infrastructures sont totalement sous dimensionnées. Il n’y a qu’un autre « département »
dans la même situation catastrophique : Mayotte…
Tout un symbole d’ailleurs :
Pour faire remonter les résultats électoraux, le gouvernement a été obligé de
mettre en place en urgence un système de téléphone par satellite. Depuis plusieurs
jours en effet la Guyane est coupée du web, internet et téléphone ne
fonctionnent que par intermittence, le câble sous-marin qui la relie au reste du
monde, ayant été accidentellement coupé. Il faudra plusieurs semaines pour le
réparer.
Au pays d’Ariane, on croit
rêver ou plutôt cauchemarder.
A la fin de l’année dernière,
Emmanuel Macron avait prévenu qu’il n’était pas le Père Noël. Certes. Mais à
défaut de cadeaux, il faudra un miracle, ou en tout cas, beaucoup, beaucoup,
beaucoup de volonté et de financements pour que la Guyane ne soit plus
française entièrement à part, mais à part entière.
« Désastre parlez-moi du désastre, parlez-m'en. » écrivait le poète Léon-Gontran Damas, un des pères de la négritude avec Césaire et
Senghor. Il parlait de son éducation. Aujourd’hui cela s’applique à sa Guyane
natale.
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